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African Population Studies/Etude
de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. B, 2004, pp.103-114 Aka Dago-Akribi H. et Cacou M-C Psychologues cliniciennes à lUniversité de Cocody, Pour le Programme Enfant Yopougon, Abidjan, Côte dIvoire. Code Number: ep04037RÉSUMÉ Ce travail porte sur le désir denfant chez des femmes séropositives ayant déjà un enfant infecté par le VIH. A travers des études de cas de mères qui ont au moins un enfant inclus dans le projet de prise en charge globale dénommé « Programme Enfant Yopougon » (ANRS 1277-1278), nous notons que le désir denfant subit des remaniements. On peut souligner cependant deux groupes de mères : celles qui désirent fortement avoir un autre enfant. Celui-ci est vu à travers le prisme de lidéal, celui qui répare. Elles mettent en avant lévolution médicale qui permet déviter la transmission de la mère à lenfant. Le partenaire souvent non informé du statut de la mère est perçu comme celui qui permettra un meilleur avenir. Pour le second groupe, on remarque une grande culpabilité. Tout se joue autour de lenfant déjà là, infecté et pour lequel, les difficultés vécues pour trouver une prise en charge restent vivaces. Tout se focalise sur cet enfant et elles ne sautorisent pas à en désirer un autre. Dans tous les cas, de nombreux mécanismes de défense sont en jeu chez ces mères et il est important de les soutenir sur le plan psychologique afin quelles retrouvent leur épanouissement personnel. INTRODUCTION Le VIH/SIDA touche 3 millions denfants. 90% vivent en Afrique et on estime à 84000 les enfants infectés en Côte dIvoire. Le taux de séroprévalence est de 12% chez les adultes (ONUSIDA, 2002). Le principal mode de transmission à lenfant est materno-ftal. On peut noter que des enfants continueront à être infectés par le VIH, en particulier à travers la transmission mère-enfant dans les années à venir, parce que leurs mères nauront pas eu accès à lintervention antirétrovirale pendant la grossesse. Ce fait est lié dune part à la méconnaissance de leur statut vis-à-vis de linfection et des interventions qui peuvent être proposées, et dautre part au niveau de lefficacité des interventions disponibles dans le contexte d'allaitement maternel et africain (Newell, 1999). Dun point de vue thérapeutique, les enfants infectés bénéficient en Côte dIvoire de la gratuité des antirétroviraux (ARV) financés par le gouvernement ivoirien. En dehors de laspect médical, il existe quelques actions à lendroit des enfants infectés mais qui restent insuffisantes. En fait très peu de travaux de recherche portent sur ces enfants (Lepage & al, 1999). Aussi, pour une meilleure connaissance de lenfant infecté et dans le but doptimiser la prise en charge, un projet de recherche ANRS dénommé « Programme Enfant Yopougon » existe depuis octobre 2000. Ce projet a pour objectif de mener des travaux de recherche sur les aspects médicaux, psychologiques et sociaux de lenfant infecté par le VIH/SIDA. A ce jour, il accueille 270 enfants lesquels sont dans plus de 95% des cas, issus de familles ayant un niveau socio-économique bas. Il offre à ces enfants dont leffectif est limité, une prise en charge globale et gratuite sur une période restreinte en raison des contraintes de la recherche. Cest dans le cadre de ce projet, que nous nous sommes interrogées sur le désir denfant chez les mères ayant déjà au moins un enfant infecté par le VIH/SIDA et bénéficiant de cette prise en charge. Problématique En Afrique, la transmission mère- enfant est le mode de contamination le plus fréquent. Les enfants immunodéprimés sont particulièrement délicats. Au-delà des premières années, l'infection prend un caractère chronique qui joue forcement un rôle perturbateur dans le développement psycho affectif et intellectuel de lenfant (Blanche, 1998). La mortalité précoce des enfants infectés est considérable (Lepage, 1991). Certains enfants infectés par le VIH très symptomatiques décèdent en raison de lévolution relativement rapide de la maladie; dautres vivent dans la communauté et grandissent avec une histoire de maladies chroniques, sans que le diagnostic d'infection par le VIH soit porté précocement. En général, ils sont peu symptomatiques, ce qui rend possible leur participation dans les activités qui permettent leur développement. Linfection de lenfant perturbe entre autres, la cellule familiale, la dynamique relationnelle mère/enfant. Or, pour les parents, avoir un enfant cest de façon consciente et inconsciente rejeter létat de mortel et se survivre, cest avoir une descendance. La grossesse symbolise lestime de soi, et laffirmation de la vie. Le désir denfant est donc en relation avec ce quil y a dessentiel, pour lêtre humain (Revault dAllones, 1994). Cela suppose le narcissisme et la reconnaissance de lautre, avec en prime la relation à son partenaire. Pour la femme séropositive, cest lespoir davoir un enfant sain. De nombreux travaux montrent que le désir denfant est très présent chez les femmes infectées par le VIH/SIDA et quelles utilisent peu les méthodes contraceptives (Desgrees du Loû, 1999 ; Desclaux, 2001). Cela se traduit souvent par une prise de risque importante : risque de transmission du virus au partenaire et/ou à lenfant. Ce désir est notable aussi bien chez les femmes ayant déjà des enfants ou nen ayant pas. Dautres travaux plus spécifiques en Côte dIvoire montrent également que ce désir denfant est élevé aussi bien chez des femmes apprenant leur séropositivité en cours de grossesse que chez celles ayant déjà connaissance de leur infection. Ce désir denfant semble répondre à des exigences psychologiques, culturelles, économiques, sociales ( Aka Dago-Akribi, 2001). Au « Programme Enfant Yopougon », nous nous sommes interrogées sur ce désir denfant chez des femmes ayant déjà un enfant infecté par le VIH/SIDA et pour lequel elles ont eu du mal à trouver une prise en charge globale et gratuite sur le plan thérapeutique médical, psychologique et social . Pourquoi la mère séropositive malgré la présence dun enfant infecté pris en charge dans le « Programme Enfant Yopougon » désire-t-elle avoir encore un enfant avec les risques que cela sous-entend ? Avec laccès au soin, la mère peut-elle vivre sa sexualité en bannissant tout nouveau désir de procréation ? Peut-elle refuser dentrer dans les cadres admis par la société ? Peut-elle se mettre en marge des projets denfant élaborés avec son partenaire, lequel très souvent nest pas informé de son statut sérologique au VIH ? Méthodologie Techniques Pour aborder ces questions nous avons mené une recherche qualitative basée sur des études de cas de mères séropositives rencontrées au « Programme Enfant Yopougon ». Ces études ont été construites à partir dentretiens psychologiques clinique et thématique sous forme semi-directive avec les mères et dune analyse de dossier concernant lenfant inclus au projet. Ce travail présente 5 études de cas de 2 groupes de femmes : le premier est constitué de femmes ayant un fort désir denfant et le second de femmes refusant tout nouveau désir denfant. Pour préserver lanonymat des mères et des enfants, nous utilisons des noms fictifs. Lanalyse sest faite à partir de la synthèse des données de dossiers et dentretiens. Elle fait référence aux éléments concernant lévolution du désir denfant en rapport avec la connaissance de la sérologie au VIH/SIDA de la mère et de lenfant, linformation du statut sérologique de la mère à son partenaire, du statut du couple, des projets de la mère et/ou du père quant au nombre denfant à avoir, de limplication des membres de la fratrie de lenfant et de leur statut sérologique, de limpact de la connaissance de lexistence des programmes de prévention de la transmission du virus de la mère à lenfant, de la gestion de sa sexualité (méthode contraceptive, abstinence ), des repères culturels. Caractéristiques de la population Pour mieux comprendre la spécificité de la question concernant le désir denfant chez la mère ayant déjà un enfant infecté et pris en charge par le « Programme Enfant de Yopougon », il est important de présenter les caractéristiques particulières de ces enfants et des mères. Le projet prend en charge 270 enfants dont 55% degarçons. Ces enfants qui ont un âge moyen de 6 ans, ont un mode de transmission en majorité materno-foetale. Si 11% sont orphelins des 2 parents et30% dau moins unparent, ilsvivent en général au sein de la famille maternelle. 8% des enfants sontprisen charge au programme avec un membre de la fratrie. 25% des mères sont veuves et 65% vivent maritalement (tableau 1). Etudes de cas Femmes manifestant un désir denfant Cas de Madeleine Madeleine est la mère de Nadèle, une petite fille de 7ans suivie au Programme Enfant Yopougon depuis octobre 2000. Cest au cours de la grossesse de sa fille que Madeleine a appris sa séropositivité. Elle en a été choquée. Ce fut un moment difficile car elle avait eu auparavant une fausse couche et son partenaire à lépoque, non informé, a refusé dans un premier temps de reconnaître la grossesse. Avec la connaissance de son statut sérologique au VIH, Madeleine sest sentie plus déterminée à mener cette grossesse à son terme ; elle sest dite « cest certainement ma dernière chance davoir un enfant ». A la suite de son dépistage, elle est orientée et prise en charge dans un projet ANRS de diminution de la transmission de la mère à lenfant (DITRAME). Nadèle naît dans ce cadre et a un suivi de deux ans avec sa mère. Lorsque Madeleine apprend linfection de sa fille, elle est traumatisée et a le vécu « dun véritable acharnement du destin ». Sur les conseils de léquipe soignante, Madeleine accepte que Nadèle soit incluse au Programme Enfant Yopougon : elle a 6 ans. Son partenaire qui finalement a reconnu lenfant nest pas informé de son statut ni de celui de lenfant. En effet, Madeleine ne veut pas lui en parler car, il soccupe de temps en temps financièrement de cet enfant. Pour son équilibre psychologique, elle adhère à une association de femmes vivant avec le VIH/SIDA. Nadèle qui a eu une petite enfance difficile (maladies à répétition, petit poids, absences de type épileptique ) arrive au Programme Enfant de Yopougon avec une histoire de maladies chroniques, une fragilité physique et psychologique. Elle a eu un parcours thérapeutique pénible (accès difficile aux ARV, aux traitements pour les maladies opportunistes.. .). Madeleine sa mère était complètement déroutée : en raison de létat de santé de sa fille, elle a du arrêter son commerce et a connu de grandes difficultés socio-économiques. Sa sur aînée informée de son statut lhéberge avec lenfant ; cependant pour protéger Madeleine et sa fille, elle nen parle pas à son mari. Malgré sa bonne volonté, elle éprouve des craintes en rapport avec une transmission possible à ses enfants quelle nose formuler. Les relations à la maison nen sont pas facilitées. La prise en charge de Nadèle grâce aux ARV, au soutien psychologique et social permet une évolution positive sur le plan de la santé, des relations avec les autres et de la scolarité. Madeleine quant à elle, bénéficie dun suivi médical pour sa propre santé. Depuis, elle est épanouie, a repris ses activités génératrices de revenus et a un nouveau partenaire. Madeleine ne la pas informé de son statut, ni de celui de Nadèle. Cependant cela semble être un vériz secret de polichinelle car dit-elle : « quand il voit les médicaments il ne dit rien, il ne pose pas de questions ». Madeleine le soupçonne fortement dêtre lui même infecté : « jai vu des médicaments quil prend et ce sont des ARV. On nen parle pas. Cest comme si cest notre secret. Je ne veux perdre ni son amour, ni son soutien financier ». Madeleine ne négocie pas le préservatif avec son partenaire. Par contre elle utilise des comprimés contraceptifs pour éviter toute grossesse. Au cours dun entretien, elle évoque un fort désir denfant en relation avec le désir de son partenaire et sa vision de la famille : « En Afrique, tu ne peux pas te contenter dun seul enfant parce quon ne sait jamais. Aujourdhui, il existe des moyens plus performants pour ne pas transmettre le virus à mon enfant». Elle est bien informée des possibilités de prise en charge existante du fait de son appartenance à lassociation. Madeleine tombe enceinte et se fait suivre dans un projet de diminution de la transmission de la mère à lenfant. Elle vient de donner naissance à une fille à la grande joie de son partenaire. « Enfin jai ma famille ». On note un véritable remaniement dans la pensée de Madeleine. En effet, les premiers entretiens avec la mère mettaient en évidence le choc de la connaissance de sa séropositivité et le traumatisme de lannonce du statut de sa fille Nadèle. Au cours de la petite enfance de celle-ci et jusquà ce que sa santé saméliore grâce à la prise en charge globale, Madeleine rejetait tout nouveau désir denfant. Adhérente dune association de femmes vivant avec le VIH, elle prônait les idées et représentations négatives de femmes VIH enceintes malgré la connaissance de leur statut. Aujourdhui, Madeleine semble être devenue une toute autre personne. Lévolution positive de sa première fille, sa bonne intégration à lécole et le fait quelle-même sépanouisse sans souci majeur de santé malgré la séropositivité lui permet de retrouver lespoir et de croire en un avenir plus serein. Madeleine à travers ce désir denfant est dans la dynamique de plaire, de faire plaisir et dêtre aimée en prouvant quelle peut avoir un enfant : cest la problématique de la quête affective à travers la reconnaissance de lautre. Elle élude les questions portant sur la santé de cet enfant mettant en avant les progrès scientifiques de la prévention de la transmission quelle a déjà faite lors de la grossesse de Nadèle-. Dailleurs elle adhère à toutes les conditions y compris le choix de lalimentation artificielle. Elle est dans le déni de toute prise de risque. Ainsi elle intègre une certaine normalité. Dailleurs elle se fait plus rare aux rencontres de son association. Cas de Arlette Arlette est mère de deux enfants dont Céline qui est incluse au Programme Enfant Yopougon. En proie aux maladies chroniques, Céline souvent malade avec un petit poids ne pouvait bénéficier dune scolarité régulière en raison de son absentéisme. Son père est décédé dun accident de la circulation alors quelle avait 4 ans. Son frère aîné âgé de 13 ans nest pas infecté. A la suite des tests de ses enfants, Arlette fait le sien et découvre quelle est porteuse du virus du sida. Cest seulement après-coup quelle se souvient des maladies de son mari avant son décès accidentel. La famille de celui-ci saccapare lhéritage et Arlette qui na pas de véritables ressources financières se retrouve face à de nombreuses difficultés avec ses enfants et est obligée de retourner en famille. Depuis que Céline est au Programme, elle a une prise en charge globale et gratuite. Sa santé sest améliorée et elle a repris une scolarité normale. Arlette est heureuse pour sa fille et elle-même, actuellement suivie dans un projet pour adulte prétend être « devenue indétectable ». Cependant, elle est très inquiète quant à lavenir de ses deux enfants surtout sur le plan scolaire. Sa fille présente un retard scolaire et nayant pas de soutien, elle rencontre de grandes difficultés à lécole et reprend le CE1 ; son fils est déscolarisé en raison du manque de moyens financiers. Loncle paternel qui devait les prendre en charge refuse den être responsable. Arlette a actuellement un prétendant qui habite dans une autre ville et souhaite lépouser. Elle adhère à ce projet même si elle sera obligée de laisser ses enfants chez sa mère. « Ce sera un moyen de donner une autre chance aux enfants. Jai trop souffert dans ma vie peut-être que cest ma chance ». Arlette refuse dinformer son partenaire de son statut et de celui de Céline, se réfugiant derrière cette affirmation et ses doutes : « le docteur ma dit que dans mon sang il ny a presque rien Si je lui dit est ce quil va vouloir encore mépouser ? ». Quand on évoque avec elle la prise en charge de Céline, elle dit ne pas vouloir labandonner mais lui donner une autre chance de vivre décemment : « la famille paternelle les a complètement abandonnés. Si vous nétiez pas là (le Programme), Céline serait déjà morte Peut-être que cest une chance pour eux. ». Concernant le désir denfant, Arlette dit : « Il veut des enfants et je suis prête à lui en donner ; cela va consolider la famille. Il ne vit pas à Abidjan donc je pourrai me faire suivre dans un programme de prévention de la transmission de la mère à lenfant sans quil le sache. » . Elle névoque pas la possibilité de la transmission du VIH à son partenaire et refuse den parler. Le désir denfant est vécu par Arlette comme une réparation de soi, un déni de la mort et laccession a un nouveau statut socialement reconnu : être épouse et mère. La prise de risque chez Arlette par une sexualité non protégée prévaut car son partenaire nest pas informé ; Arlette se protège ainsi socialement dun quelconque rejet (mais pas du VIH/SIDA). Elle pourrait ainsi réparer une injustice pour elle et ses enfants car, ils vivront en miroir ses satisfactions. Le rétablissement de Céline et sa « bonne santé » lui permettent daspirer à une vie « normale ». Arlette est prise entre sa vision idéale de la vie et la réalité. Le nouveau désir denfant qui rejoint celui de son partenaire est animé par cet idéal : il est lélément réparateur de la cohésion familiale. Cas de Mariam Mariam et son partenaire ont un garçon nommé Ali de 5 ans1/2. Ali a été dépisté a 3ans1/2 alors quelle-même connaissant son statut positif au VIH/SIDA était très malade et alitée. Cest la grand-mère maternelle qui avec le consentement du père a accompagné Ali au Programme Enfant de Yopougon pour une prise en charge. Les parents sont informés du statut dAli et, le père très présent dans la prise en charge de lenfant, répond favorablement aux différents rendez-vous. « Cest un bon mari et un bon père » dit la mère. Ali inscrit au préscolaire nest pas un enfant très symptomatique et présente un bon état général. La mère parle aisément de son statut avec son partenaire. Cependant, il refuse de faire son test malgré la sensibilisation de son entourage et de léquipe médicale. De plus, il soppose à lusage du préservatif. Il dit subir trop de questions de la part de son entourage qui sétonne quen tant que musulman il nait quun enfant et lui propose de prendre une autre épouse. Pour éviter « des conflits inutiles », Mariam se retire avec Ali chez sa mère, prétextant sa santé fragile. Elle refuse toute nouvelle grossesse car elle ne souhaite pas aggraver son état de santé et prendre le risque de contaminer son partenaire même si elle est « presque sûr quil est infecté parce quil est toujours malade et a des boutons ». « Il se traite par automédication » précise t-elle. Mariam est soutenue dans sa démarche par sa mère, laquelle reconnaissant les qualités de son gendre déplore son « manque de courage et son entêtement ». Mariam suivie et sous ARV, recouvre la santé. Sous la pression damis et de parents, elle regagne le domicile conjugal et tombe enceinte. Malgré sa rage, elle refuse de pratiquer une IVG car elle est « croyante cest le destin de Dieu ». Elle a également le secret espoir davoir un enfant en bonne santé qui assurera sa descendance. Suivie dans un projet de diminution de la transmission de la mère à lenfant, elle donne naissance à une petite fille. Actuellement son mari sest décidé à faire le test et est sous antirétoviraux (ARV). Le désir denfant qui était absent chez Mariam compte tenu de son infection et de la longue maladie au cours de laquelle elle est restée longtemps alitée, sest reformé face à ses croyances et finalement à son espoir davoir un enfant non infecté. Ainsi, elle finit par souscrire au désir denfant de son partenaire. Ce désir qui se concrétise par une grossesse puis un enfant, permet à ce dernier de retrouver sa place dans son groupe dappartenance. Rassuré et remis en confiance par rapport à ses capacités à être père, il accepte de faire son test. Le VIH/SIDA nest donc pas une entrave au statut que lui confère la société. Le bénéfice est évident pour Mariam qui se retrouve avec un partenaire qui finalement accepte de faire son test et une petite fille qui est lespoir de vie de toute une famille. Femmes ne manifestant pas de désir denfant Cas de Valérie Valérie est mère de 5enfants dont 4 avec son partenaire actuel. Elle a fait une fausse couche avant dapprendre lors dune consultation prénatale au cours de la grossesse de son dernier enfant quelle est séropositive. Surprise et choquée elle dira : « le sida est venue me trouver à la maison ». Pour sauver son enfant, elle accepte dêtre incluse dans un projet de diminution de la transmission de la mère à lenfant. Valérie donne naissance à un garçon nommé Pascal. Malheureusement, Pascal est infecté par le VIH. Ce fut un véritable « parcours du combattant pour quil ait accès aux ARV. Il a connu plusieurs formules thérapeutiques. Actuellement, il est suivi au Programme Enfant de Yopougon : son état général sest amélioré et il sinvestit bien à lécole ». Valérie a informé son partenaire qui, à la suite de son test se révèle être également séropositif. Pour lutter contre le VIH, elle mène une activité de militante dans une ONG et est conseillère auprès de personnes vivant avec le VIH. Malgré le désir parfois exprimé par son partenaire davoir un autre enfant, elle refuse cette éventualité en insistant sur la nécessité de sinvestir toute entière dans le soutien de Pascal. De plus dit-elle « Parfois ça me tente avec tout ce quon peut faire aujourdhui sur le plan médical mais, nous avons déjà 4 enfants, quest ce que je vais encore prouver aux gens ? Même si Pascal est son seul garçon (de son mari), je ne veux plus revivre langoisse que jai connu chaque fois quil était hospitalisé. On ne fait pas des enfants pour les faire souffrir ». La fratrie de Pascal est informée de son statut et tous les moyens familiaux sont mobilisés pour lui. Valérie souligne néanmoins une dimension importante relative au fait de ne plus avoir denfant : « je serai la risée des membres dassociation. Quel paradoxe avec tous les conseils que je donne au femmes afin quelles évitent toute nouvelle grossesse ! ». Même si elle négocie avec difficulté lusage du préservatif, elle reste ferme sur sa position pour le devenir de sa famille allant jusqu'à pratiquer lIVG : « Cest contre mes croyances mais avec le sida, tu ne sais pas jusquà quand tu auras la paix Il faut donc tout préparer pour les enfants.... Mon souhait cest que Pascal ait le meilleur en matière de traitement car il na pas demandé à naître ; cest de ma responsabilité ». Valérie met en avant la qualité de vie pour son enfant infecté. Elle vit encore une grande culpabilité par rapport à linfection de Pascal et associe toute sa famille au soutien de Pascal. Il est lenfant précieux, surprotégé qui ne peut laisser de place à un autre. Valérie ne rejette pas le poids des attentes de la société mais elle estime y avoir répondu. Son refus est dautant plus fort que Valérie est très informée sur tout ce qui se fait en matière de prise en charge de la mère et de lenfant infectés par le VIH/SIDA. Cela renvoie au vécu de sa propre infection quelle qualifie dinjuste. Son investissement en tant que militante lui donne un rôle quelle accomplit pleinement faisant taire ses propres désirs. Il y a un détournement psychologique de la réalité. Elle utilise ses nouvelles fonctions comme moyen de défense pour imposer son point de vue. Entre culpabilité et responsabilité, on remarque le déplacement qui lui permet de militer pour une meilleure prise en charge de lenfant en général. Par la sublimation, elle sinvestit dans son rôle de conseillère et de militante, rationalisant le fait de ne plus vouloir denfant. Cas de Sylviane Sylviane a deux enfants infectés pris en charge au Programme Enfant de Yopougon : Guy 9ans et Marie 6ans. Cest à la suite du test proposé à Guy en raison de maladies chroniques, que Sylviane a fait son propre test. Elle a informé son mari de son statut et de celui de Guy. Cependant elle avoue avoir eu beaucoup de mal pour se décider à faire tester Marie « quand tu as un enfant infecté cest vraiment trop dur. Guy a trop souffert ; tout le temps malade. Cest parce que au Programme, je me suis rendu compte quil a changé, quil est maintenant en bonne santé que jai accepté pour Marie. Son résultat ma choquée parce quelle navait apparemment rien. Ce que je ne voulais pas est arrivé. Je ne suis pas à laise parce que si javais su jallais faire mon test pour les protéger ». Aujourdhui avoir encore un enfant ne fait pas partie de ses aspirations. « Mon mari nous soutient beaucoup mais lui-même na pas encore fait son test. Avant, on voulait avoir 4 enfants mais aujourdhui, on ne parle plus de ça. Déjà la vie nest pas facile on ne va pas en rajouter. Dieu merci le Programme nous aide beaucoup mais quallons nous faire à la fin (arrêt du Programme de recherche)? Il faut penser à leur avenir ». Guy a une scolarité normale après avoir eu une fréquentation irrégulière à cause de la maladie. Il travaille bien à lécole et les parents espèrent quavec le traitement, ces deux enfants vivront longtemps. Sylviane est persuadée que quelque soit la prise en charge, si elle tombe enceinte, elle donnera naissance encore à un enfant infecté : « il y a des virus qui sont trop forts ; Je ne pense pas que la prévention va méviter davoir un enfant infecté et puis comment je vais faire avec mon mari ? Il est souvent en mission et voyage beaucoup. Non ce nest pas possible. » Pour Sylviane, le désir denfant na plus sa raison dêtre compte tenu du fait quelle a déjà deux enfants infectés. Elle se vit comme une mauvaise mère et culpabilise de ne pas avoir évité cette transmission à ses enfants. Elle focalise toute son attention sur eux mettant presque une parenthèse à sa vie de couple. Elle inhibe tous ses projets de vie (avoir 4 enfants), vit à travers ses enfants et souhaite pour eux un devenir meilleur. Analyse Ces différentes études de cas montrent que le désir denfant spécifique chez ces mères ayant un enfant pris en charge dans le Programme Enfant de Yopougon est en relation avec différents aspects :
Sur le plan psychologique, on peut souligner que le désir denfant connaît un véritable remaniement. Il est en relation avec le lien de la mère à ses propres parents (sa mère, son père), à son partenaire, à lenfant déjà là et à sa fratrie, à lenfant imaginaire, celui de ses rêves qui canalise tous les espoirs. La surprotection de lenfant déjà là est souvent pour la mère lexpression dune certaine culpabilité qui nécessite un soutien particulier par la prise en charge psychologique (Funck-Brentano,1994 ; Dumaret et al.,1995 ). Chez ces mères qui sont jeunes, au delà du désir denfant cest une quête affective personnelle qui leur permettra de se vivre comme sujet désirable pour lautre malgré le sida. La femme élabore alors de nombreux mécanismes de défense qui lui permettent de lutter contre langoisse découlant de la connaissance de linfection : réparation, déni, sublimation, rationalisation sont autant de moyens psychologiques pour exprimer ou pas tout désir denfant. CONCLUSION Le désir denfant correspond à une représentation particulière de la maternité et de la filiation. Il connaît des remaniements liés à de nombreux facteurs intrinsèques et extrinsèques qui sont en rapport chez la femme avec la connaissance de son infection, de celle de son enfant, des rapports avec son partenaire, de la dimension culturelle. Par le désir denfant, ce que la femme recherche cest sa place et la réparation à travers lenfant sain à venir. Avec le virus du SIDA, elle se demande si elle compte désormais dans le désir de lautre et si elle peut avoir un enfant sain. Dans ce contexte se pose également la problématique du devenir de cet enfant entre imaginaire (idéal) et réalité. Ainsi, autant lenfant à venir répare, autant il détruit et culpabilise. Il est important de soutenir ces mères sur le plan psychologique afin quelles retrouvent un épanouissement personnel et optimise leur relation avec lenfant séropositif. Le VIH/SIDA est une réalité très douloureuse qui remanie la situation délicate de la femme dans une société en mutation où son statut reste problématique. RÉFERÉNCES
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