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African Population Studies
Union for African Population Studies
ISSN: 0850-5780
Vol. 19, Num. 2, 2004, pp. 103-114

African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 19, No. 2, Sup. B, 2004, pp.103-114

Désir d’enfant chez la mère séropositive ayant un enfant infecté par le VIH/SIDA

Aka Dago-Akribi H. et Cacou M-C

Psychologues cliniciennes à l’Université de Cocody, Pour le Programme Enfant Yopougon, Abidjan, Côte d’Ivoire.

Code Number: ep04037

RÉSUMÉ

Ce travail porte sur le désir d’enfant chez des femmes séropositives ayant déjà un enfant infecté par le VIH. A travers des études de cas de mères qui ont au moins un enfant inclus dans le projet de prise en charge globale dénommé « Programme Enfant Yopougon » (ANRS 1277-1278), nous notons que le désir d’enfant subit des remaniements. On peut souligner cependant  deux groupes de mères : celles qui désirent fortement avoir un autre enfant. Celui-ci est vu à travers le prisme de  l’idéal, celui qui répare. Elles mettent en avant l’évolution médicale qui permet d’éviter la transmission de la mère à l’enfant. Le partenaire souvent non informé du statut de la mère  est perçu comme celui qui permettra un meilleur avenir. Pour le second groupe, on remarque une grande culpabilité. Tout se joue autour de l’enfant déjà là, infecté et pour lequel, les difficultés vécues pour trouver une prise en charge restent vivaces. Tout se focalise sur cet enfant et elles ne s’autorisent pas à en désirer un autre. Dans tous les cas, de nombreux mécanismes de défense sont en jeu chez ces mères et il est important de les soutenir sur le plan psychologique afin qu’elles retrouvent leur épanouissement personnel.

INTRODUCTION

Le VIH/SIDA touche 3 millions d’enfants. 90% vivent en Afrique et on estime à 84000 les enfants infectés en Côte d’Ivoire. Le taux de séroprévalence est de 12% chez les adultes (ONUSIDA, 2002). Le principal mode de transmission à l’enfant est materno-fœtal.  On peut noter que des enfants continueront à être infectés par le VIH, en particulier à travers la transmission mère-enfant dans les années à venir, parce que leurs mères n’auront pas eu accès à l’intervention antirétrovirale pendant la grossesse. Ce fait est lié d’une part à la méconnaissance de leur statut vis-à-vis de l’infection et des interventions qui peuvent être proposées, et d’autre part au niveau de l’efficacité des interventions disponibles dans le contexte d'allaitement maternel et africain (Newell, 1999). D’un point de vue thérapeutique, les enfants infectés bénéficient en Côte d’Ivoire de la gratuité des antirétroviraux (ARV) financés par le gouvernement ivoirien. En dehors de l’aspect médical, il existe quelques  actions à l’endroit des enfants infectés mais qui restent insuffisantes. En fait très peu de travaux  de recherche portent sur ces enfants (Lepage & al, 1999). Aussi, pour une meilleure connaissance de l’enfant infecté et dans le but d’optimiser la prise en charge, un projet de recherche ANRS dénommé « Programme Enfant Yopougon » existe depuis octobre 2000. Ce projet a pour objectif de mener des travaux de recherche sur les aspects médicaux, psychologiques et sociaux de l’enfant infecté par le VIH/SIDA. A ce jour, il accueille 270 enfants lesquels sont dans plus de 95% des cas, issus de familles ayant un niveau socio-économique bas. Il offre à ces enfants dont l’effectif est limité, une prise en charge globale et gratuite sur une période restreinte en raison des contraintes de la recherche.

C’est dans le cadre de ce projet, que nous nous sommes interrogées sur le désir d’enfant chez les mères ayant déjà au moins un enfant infecté par le VIH/SIDA et bénéficiant de cette prise en charge.

Problématique

 En Afrique, la transmission mère- enfant est le mode de contamination le plus fréquent. Les enfants immunodéprimés sont particulièrement délicats. Au-delà des premières années, l'infection prend un caractère chronique qui joue forcement un rôle perturbateur dans le développement psycho affectif et intellectuel de l’enfant (Blanche, 1998). La mortalité précoce des enfants infectés est considérable (Lepage, 1991). Certains enfants infectés par le VIH très symptomatiques décèdent en raison de l’évolution relativement rapide de la maladie; d’autres vivent dans la communauté et grandissent avec une histoire de maladies chroniques, sans que le diagnostic d'infection par le VIH soit porté précocement. En général, ils sont peu symptomatiques, ce qui rend possible leur participation dans les activités qui permettent leur développement. L’infection de l’enfant perturbe entre autres, la cellule familiale, la dynamique relationnelle mère/enfant.

Or, pour les parents, avoir un enfant c’est de façon consciente et inconsciente rejeter l’état de mortel et se survivre, c’est avoir une descendance. La grossesse symbolise l’estime de soi, et l’affirmation de la vie. Le désir d’enfant est donc en relation avec ce qu’il y a d’essentiel, pour l’être humain (Revault d’Allones, 1994). Cela suppose le narcissisme et la reconnaissance de l’autre, avec en prime la relation à son partenaire. Pour la femme séropositive, c’est l’espoir d’avoir un enfant sain. De nombreux travaux montrent que le désir d’enfant est très présent chez les femmes infectées par le VIH/SIDA et qu’elles utilisent peu les méthodes contraceptives (Desgrees du Loû, 1999 ; Desclaux, 2001). Cela se traduit souvent par une prise de risque importante : risque de transmission du virus au partenaire et/ou à l’enfant. Ce désir est notable aussi bien chez les femmes ayant déjà des enfants ou n’en ayant pas.  D’autres travaux plus spécifiques en Côte d’Ivoire montrent également que ce désir d’enfant est élevé aussi bien chez des femmes apprenant leur séropositivité en cours de grossesse que chez celles ayant déjà connaissance de leur infection. Ce désir d’enfant semble répondre à des exigences psychologiques, culturelles, économiques, sociales ( Aka Dago-Akribi, 2001).

Au « Programme Enfant Yopougon », nous nous sommes interrogées sur ce désir d’enfant chez des femmes ayant déjà un enfant infecté par le VIH/SIDA et pour lequel elles ont eu du mal à trouver une prise en charge globale et gratuite sur le plan thérapeutique médical, psychologique et social .

Pourquoi la mère séropositive malgré la présence d’un enfant infecté pris en charge dans le « Programme Enfant Yopougon » désire-t-elle avoir encore un enfant avec les risques que cela sous-entend ?

Avec l’accès au soin, la mère peut-elle vivre sa sexualité en bannissant tout nouveau désir de procréation ? Peut-elle refuser d’entrer dans les cadres admis par la société ? Peut-elle se mettre en marge des projets d’enfant élaborés avec son partenaire, lequel très souvent n’est pas informé de son statut sérologique au VIH ?

Méthodologie

Techniques

 Pour aborder ces questions nous avons mené une recherche qualitative basée sur des études de cas de mères séropositives rencontrées au « Programme Enfant Yopougon ». Ces études ont été construites à partir d’entretiens psychologiques clinique et thématique sous forme semi-directive avec les mères et d’une analyse de dossier concernant l’enfant inclus au projet.

Ce travail présente 5 études de cas de 2 groupes de femmes : le premier est constitué de femmes ayant un fort désir d’enfant et le second de femmes refusant tout nouveau désir d’enfant. Pour préserver l’anonymat des mères et des enfants, nous utilisons des noms fictifs.

L’analyse s’est faite à partir de la synthèse des données de dossiers et d’entretiens. Elle fait référence aux éléments concernant l’évolution du désir d’enfant en rapport avec la connaissance de la sérologie au VIH/SIDA de la mère et de l’enfant, l’information du statut sérologique de la mère à son partenaire, du statut du couple, des projets de la mère et/ou du père quant au nombre d’enfant à avoir, de l’implication des membres de la fratrie de l’enfant et de leur statut sérologique, de l’impact de la connaissance de l’existence des programmes de prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant, de la gestion de sa sexualité (méthode contraceptive, abstinence…), des repères culturels.

Caractéristiques de la population

Pour mieux comprendre la spécificité de la question concernant le désir d’enfant chez la mère ayant déjà un enfant infecté et pris en charge par le « Programme Enfant de Yopougon », il est important de présenter les caractéristiques particulières de ces enfants et des mères.

Le projet prend en charge 270 enfants dont 55% degarçons. Ces enfants qui ont un âge moyen de 6 ans, ont un mode de transmission en majorité materno-foetale. Si 11% sont orphelins des 2 parents et30% d’au moins unparent, ilsvivent en général au sein de la famille maternelle. 8% des enfants sontprisen charge au programme avec un membre de la fratrie. 25% des mères sont veuves et 65% vivent maritalement (tableau 1).

Etudes de cas 

Femmes manifestant un désir d’enfant

Cas de Madeleine

Madeleine est la mère de Nadèle, une petite fille de 7ans suivie au Programme Enfant Yopougon depuis octobre 2000.  C’est au cours de la grossesse de sa fille que Madeleine a appris sa séropositivité. Elle en a été choquée.  Ce fut un moment difficile car elle avait eu auparavant une fausse couche et son partenaire à l’époque, non informé, a refusé dans un premier temps de reconnaître la grossesse. Avec la connaissance de son statut sérologique au VIH, Madeleine s’est sentie plus déterminée à mener cette grossesse à son terme ; elle s’est dite  « c’est certainement ma dernière chance d’avoir un enfant ».  A la suite de son dépistage, elle est orientée et prise en charge dans un projet ANRS de diminution de la transmission de la mère à l’enfant (DITRAME). Nadèle naît dans ce cadre et a un suivi de deux ans avec sa mère. Lorsque Madeleine apprend l’infection de sa fille, elle est traumatisée et a le vécu « d’un véritable acharnement du destin ». Sur les conseils de l’équipe soignante, Madeleine accepte que Nadèle soit incluse au Programme Enfant Yopougon : elle a 6 ans. Son partenaire qui finalement a reconnu l’enfant n’est pas informé de son statut ni de celui de l’enfant. En effet, Madeleine ne veut pas lui en parler car, il s’occupe de temps en temps financièrement de cet enfant. Pour son équilibre psychologique, elle adhère à une association de femmes vivant avec le VIH/SIDA.

 Nadèle qui a eu une petite enfance difficile (maladies à répétition, petit poids, absences de type épileptique …) arrive au Programme Enfant de Yopougon avec une histoire de maladies chroniques, une fragilité physique et psychologique.  Elle a eu un parcours thérapeutique pénible (accès difficile aux ARV, aux traitements pour les maladies opportunistes.. .). Madeleine sa mère était complètement déroutée : en raison de l’état de santé de sa fille, elle a du arrêter son commerce et a connu de grandes difficultés socio-économiques.

Sa sœur aînée informée de son statut l’héberge avec l’enfant ; cependant pour protéger Madeleine et sa fille, elle n’en parle pas à son mari. Malgré sa bonne volonté, elle éprouve des craintes en rapport avec une transmission possible à ses enfants qu’elle n’ose formuler. Les relations à la maison n’en sont pas facilitées.

La prise en charge de Nadèle grâce aux ARV, au soutien psychologique et social permet une évolution  positive sur le plan de la santé, des relations avec les autres et de la scolarité. Madeleine quant à elle, bénéficie d’un suivi médical pour sa propre santé. Depuis, elle est épanouie, a repris ses activités génératrices de revenus et a un nouveau partenaire. Madeleine ne l’a  pas informé de son statut, ni de celui de Nadèle. Cependant cela semble être un vériz secret de polichinelle car dit-elle : « quand il voit les médicaments il ne dit rien, il ne pose pas de questions ». Madeleine  le soupçonne fortement d’être lui même infecté : « j’ai vu des  médicaments qu’il prend et ce sont des ARV. On n’en parle pas. C’est comme si c’est notre secret. Je ne veux perdre ni son amour, ni son soutien financier ».

Madeleine ne négocie pas le préservatif avec son partenaire. Par contre elle utilise des comprimés contraceptifs pour éviter toute grossesse.  Au cours d’un entretien, elle évoque un fort désir d’enfant en relation avec le désir de son partenaire  et sa vision de la famille : « En Afrique, tu ne peux pas te contenter d’un seul enfant parce qu’on ne sait jamais.  Aujourd’hui, il existe des moyens plus performants pour ne pas transmettre le virus à mon enfant». Elle est bien informée des possibilités de prise en charge existante du fait de son appartenance à l’association. Madeleine tombe enceinte et se fait suivre dans un projet de diminution de la transmission de la mère à l’enfant. Elle vient de donner naissance à une fille à la grande joie de son partenaire. « Enfin j’ai ma famille ».

On note un véritable remaniement dans la pensée de Madeleine. En effet, les premiers entretiens avec la mère mettaient en évidence le choc de la connaissance de sa séropositivité et le traumatisme de l’annonce du statut de sa fille Nadèle. Au cours de la petite enfance de celle-ci et jusqu’à ce que sa santé s’améliore grâce à la prise en charge globale, Madeleine rejetait tout nouveau désir d’enfant. Adhérente d’une association de femmes vivant avec le VIH, elle prônait les idées et représentations négatives de femmes VIH enceintes malgré la connaissance de leur statut. Aujourd’hui, Madeleine semble être devenue une toute autre personne.

L’évolution positive de sa première fille, sa bonne intégration à l’école et le fait qu’elle-même s’épanouisse sans souci majeur de santé malgré la séropositivité lui permet de retrouver l’espoir et de croire en un avenir plus serein.

Madeleine à travers ce désir d’enfant est dans la dynamique de plaire, de faire plaisir et d’être aimée en prouvant qu’elle peut avoir un enfant : c’est la problématique de la quête affective à travers la reconnaissance de l’autre. Elle élude les questions portant sur la santé de cet enfant mettant en avant les progrès scientifiques de la prévention de la transmission –qu’elle a déjà faite lors de la grossesse de Nadèle-. D’ailleurs elle adhère à toutes les conditions y compris le choix de l’alimentation artificielle. Elle est dans le déni de toute prise de risque. Ainsi elle intègre une certaine normalité. D’ailleurs elle se fait plus rare aux rencontres de son association.

Cas de Arlette 

Arlette est mère de deux enfants dont Céline qui est incluse au Programme Enfant Yopougon. En proie aux maladies chroniques, Céline souvent malade avec un petit poids ne pouvait bénéficier d’une scolarité régulière en raison de son absentéisme.  Son père est décédé d’un accident de la circulation alors qu’elle avait 4 ans. Son frère aîné âgé de 13 ans n’est pas infecté. A la suite des tests de ses enfants, Arlette fait le sien et découvre qu’elle est porteuse du virus du sida. C’est seulement après-coup qu’elle se souvient des maladies de son mari avant son décès accidentel. La famille de celui-ci s’accapare l’héritage et Arlette qui n’a pas de véritables ressources financières se retrouve face à de nombreuses difficultés avec ses enfants et est obligée de retourner en famille. Depuis que Céline est au Programme, elle a une prise en charge globale et gratuite. Sa santé s’est améliorée et elle a repris une scolarité normale. Arlette est heureuse pour sa fille et elle-même, actuellement suivie dans un projet pour adulte prétend être « devenue indétectable ». Cependant, elle est très inquiète quant à l’avenir de ses deux enfants surtout sur le plan scolaire. Sa fille présente un retard scolaire et n’ayant pas de soutien, elle rencontre de grandes difficultés à l’école et reprend le CE1 ; son fils est déscolarisé en raison du manque de moyens financiers. L’oncle paternel qui devait les prendre en charge refuse d’en être responsable.

Arlette a actuellement un prétendant qui habite dans une autre ville et souhaite l’épouser. Elle adhère à ce projet même si elle sera obligée de laisser ses enfants chez sa mère. « Ce sera un moyen de  donner une autre chance aux enfants.  J’ai trop souffert dans ma vie peut-être que c’est ma chance ». Arlette refuse d’informer son partenaire de son statut et de celui de Céline, se réfugiant derrière cette affirmation et ses doutes : « le docteur m’a dit que dans mon sang il n’y a presque rien…Si je lui dit est ce qu’il va vouloir encore m’épouser ? ». Quand on évoque avec elle la prise en charge de Céline, elle dit ne pas vouloir l’abandonner mais lui donner une autre chance de vivre  décemment : « la famille paternelle les a complètement abandonnés. Si vous n’étiez pas là (le Programme), Céline serait déjà morte… Peut-être que c’est une chance pour eux. ». Concernant le désir d’enfant, Arlette dit : « Il veut des enfants et je suis prête à lui en donner ; cela va consolider la famille. Il ne vit pas à Abidjan donc je pourrai me faire suivre dans un programme de prévention de la transmission de la mère à l’enfant sans qu’il le sache. »….  Elle n’évoque pas la possibilité de la transmission du VIH à son partenaire et refuse d’en parler. 

Le désir d’enfant est vécu par Arlette comme une réparation de soi, un déni de la mort et l’accession a un nouveau statut socialement reconnu : être épouse et mère. La prise de risque chez Arlette par une sexualité non protégée prévaut car son partenaire n’est pas informé ; Arlette se protège ainsi socialement d’un quelconque rejet (mais pas du VIH/SIDA). Elle pourrait ainsi réparer une injustice pour elle et ses enfants car, ils vivront en miroir ses satisfactions. Le rétablissement de Céline et sa « bonne santé » lui permettent d’aspirer à une vie « normale ».  Arlette est prise entre sa vision idéale de la vie et la réalité. Le nouveau désir d’enfant qui rejoint celui de son partenaire est animé par cet idéal : il est l’élément réparateur de la cohésion familiale.

Cas de Mariam

Mariam et son partenaire ont un garçon  nommé Ali de 5 ans1/2. Ali a été dépisté a 3ans1/2 alors qu’elle-même connaissant son statut positif au VIH/SIDA était très malade et alitée. C’est la grand-mère maternelle  qui avec le consentement du père a accompagné Ali au Programme Enfant  de Yopougon pour une prise en charge. Les parents sont informés du statut d’Ali et, le père très présent dans la prise en charge de l’enfant, répond favorablement aux différents rendez-vous. « C’est un bon mari et un bon père » dit la mère. Ali inscrit au préscolaire n’est pas un enfant très symptomatique et présente un bon état général. La mère parle aisément de son statut avec son partenaire. Cependant, il refuse de faire son test malgré la sensibilisation de son entourage et de l’équipe médicale. De plus, il s’oppose à l’usage du préservatif. Il dit subir trop de questions de la part de son entourage qui s’étonne qu’en tant que musulman il n’ait qu’un enfant et lui propose de prendre une autre épouse. Pour éviter « des conflits inutiles », Mariam se retire avec Ali chez sa mère, prétextant sa santé fragile. Elle refuse toute nouvelle grossesse car elle ne souhaite pas aggraver son état de santé et prendre le risque de contaminer son partenaire même si elle est « presque sûr qu’il est infecté parce qu’il est toujours malade et a des boutons ». « Il se traite par automédication » précise t-elle. Mariam est soutenue dans sa démarche par sa mère, laquelle reconnaissant les qualités de son gendre déplore son « manque de courage et son entêtement ».

Mariam suivie et sous ARV, recouvre la santé. Sous la pression d’amis et de parents, elle regagne le domicile conjugal et tombe enceinte. Malgré sa rage, elle refuse de pratiquer une IVG car elle est « croyante…c’est le destin de Dieu ». Elle a également le secret espoir d’avoir un enfant en bonne santé qui assurera sa descendance. Suivie dans un projet de diminution de la transmission de la mère à l’enfant, elle donne naissance à une petite fille. Actuellement son mari s’est décidé à faire le test et est sous antirétoviraux (ARV).

Le désir d’enfant qui était absent chez Mariam compte tenu de son infection et de la longue maladie au cours de laquelle elle est restée longtemps alitée, s’est reformé face à ses croyances et finalement à son espoir d’avoir un enfant non infecté. Ainsi, elle finit par souscrire au  désir d’enfant de son partenaire. Ce désir qui se concrétise par une grossesse puis un enfant, permet à ce dernier de retrouver sa place dans son groupe d’appartenance. Rassuré et remis en confiance par rapport à ses capacités à être père, il accepte de faire son test. Le VIH/SIDA n’est donc pas une entrave au statut que lui confère la société. Le bénéfice est évident pour Mariam qui se retrouve avec un partenaire qui finalement accepte de faire son test  et une petite fille qui est l’espoir de vie de toute une famille.

Femmes ne manifestant pas de désir d’enfant

Cas de Valérie 

Valérie est mère de 5enfants dont 4 avec son partenaire actuel. Elle a fait une fausse couche avant d’apprendre lors d’une consultation prénatale au cours de la grossesse de son dernier enfant qu’elle est séropositive. Surprise et choquée elle dira : «  le sida est venue me trouver à la maison ». Pour sauver son enfant, elle accepte d’être incluse dans un projet de diminution de la transmission de la mère à l’enfant. Valérie  donne naissance à un garçon nommé Pascal. Malheureusement, Pascal est infecté par le VIH. Ce fut un véritable « parcours du combattant pour qu’il ait accès aux ARV. Il a connu plusieurs formules thérapeutiques. Actuellement, il est suivi au Programme Enfant de Yopougon : son état général s’est amélioré  et il s’investit bien à l’école ». Valérie a informé son partenaire qui, à la suite de son test se révèle être également séropositif. Pour lutter contre le VIH, elle mène une activité de militante dans une ONG et est conseillère auprès de personnes vivant avec le VIH. Malgré le désir parfois exprimé par son partenaire d’avoir un autre enfant, elle refuse cette éventualité en insistant sur la nécessité de s’investir toute entière dans le soutien de Pascal. De plus dit-elle « Parfois ça me tente avec tout ce qu’on peut faire aujourd’hui sur le plan médical mais, nous avons déjà 4 enfants, qu’est ce que je vais encore prouver aux gens ?…Même si Pascal est son seul garçon (de son mari), je ne veux plus revivre l’angoisse que j’ai connu chaque fois qu’il était hospitalisé. On ne fait pas des enfants pour les faire souffrir ». La fratrie de Pascal est informée de son statut et tous les moyens familiaux sont mobilisés pour lui. Valérie souligne néanmoins une dimension importante relative au fait de ne plus avoir d’enfant : « je serai la risée des membres d’association. Quel paradoxe avec tous les conseils que je donne au femmes afin qu’elles évitent toute nouvelle grossesse ! ». Même si elle négocie avec difficulté l’usage du préservatif, elle reste ferme sur sa position pour le devenir de sa famille allant jusqu'à pratiquer l’IVG : « C’est contre mes croyances mais avec le sida, tu ne sais pas jusqu’à quand tu auras la paix… Il faut donc tout préparer pour les enfants.... Mon souhait c’est que Pascal ait le meilleur en matière de traitement car il n’a pas demandé à naître ; c’est de ma responsabilité ».

Valérie met en avant la qualité de vie pour son enfant infecté. Elle vit encore une grande culpabilité par rapport à l’infection de Pascal et associe toute sa famille au soutien de Pascal. Il est l’enfant précieux, surprotégé qui ne peut laisser de place à un autre. Valérie ne rejette pas le poids des attentes de la société mais elle estime y avoir répondu. Son refus est d’autant plus fort que Valérie est très informée sur tout ce qui se fait en matière de prise en charge de la mère et de l’enfant infectés par le VIH/SIDA. Cela renvoie au vécu de sa propre infection qu’elle qualifie d’injuste. Son investissement en tant que militante lui donne un rôle qu’elle accomplit pleinement faisant taire ses propres désirs. Il y a un détournement psychologique de la réalité. Elle utilise ses nouvelles fonctions comme moyen de défense  pour imposer son point de vue. Entre culpabilité et responsabilité, on remarque le déplacement qui lui permet de militer  pour une meilleure prise en charge de l’enfant en général. Par la sublimation, elle s’investit dans son rôle de conseillère et de militante, rationalisant le fait de ne plus vouloir d’enfant.

Cas de Sylviane

Sylviane a deux enfants infectés pris en charge au Programme Enfant de Yopougon : Guy  9ans et Marie 6ans. C’est à la suite du test proposé à Guy en raison de maladies chroniques, que Sylviane a fait son propre test. Elle a informé son mari de son statut et de celui de Guy. Cependant elle avoue avoir eu beaucoup de mal pour se décider à faire tester Marie « quand tu as un enfant infecté c’est vraiment trop dur. Guy a trop souffert ; tout le temps malade. C’est parce que au Programme, je me suis rendu compte qu’il a changé, qu’il est maintenant en bonne santé que j’ai accepté pour Marie. Son résultat m’a choquée parce qu’elle n’avait apparemment rien. Ce que je ne voulais pas est arrivé. Je ne suis pas à l’aise parce que si j’avais su j’allais faire mon test pour les protéger ».

Aujourd’hui avoir encore un enfant ne fait pas partie de ses aspirations. « Mon mari nous soutient beaucoup mais lui-même n’a pas encore fait son test. Avant, on voulait avoir 4 enfants mais aujourd’hui, on ne parle plus de ça. Déjà la vie n’est pas facile on ne va pas en rajouter. Dieu merci le Programme nous aide beaucoup mais qu’allons nous faire à la fin  (arrêt du Programme de recherche)? Il faut penser à leur avenir ».

Guy a une scolarité normale après avoir eu une fréquentation irrégulière à cause de la maladie. Il travaille bien à l’école et les parents espèrent qu’avec le traitement, ces deux enfants vivront longtemps. Sylviane est persuadée que quelque soit la prise en charge, si elle tombe enceinte, elle donnera naissance encore à un enfant infecté : « il y a des virus qui sont trop forts ; Je ne pense pas que la prévention va m’éviter d’avoir un enfant infecté et puis comment je vais faire avec mon mari ?  Il est souvent en mission et voyage beaucoup. Non ce n’est pas possible. »

Pour Sylviane, le désir d’enfant n’a plus sa raison d’être compte tenu du fait qu’elle a déjà deux enfants infectés. Elle se vit comme une mauvaise mère et culpabilise de ne pas avoir évité cette transmission à ses enfants. Elle focalise toute son attention sur eux mettant presque une parenthèse à sa vie de couple. Elle inhibe tous ses projets de vie (avoir 4 enfants), vit à travers ses enfants et souhaite pour eux un devenir meilleur.

Analyse

Ces différentes études de cas montrent que le désir d’enfant spécifique chez ces mères ayant  un enfant pris en charge dans le Programme Enfant de Yopougon est en relation avec différents aspects :

  •     Pour les femmes séropositives  qui ont un fort désir d’enfant, ce désir est alimenté par la connaissance de structures de soins pour l’enfant et la mère infectés par le VIH/SIDA, l’amélioration de la santé de l’enfant déjà là, sa réintégration dans la dynamique scolaire, le caractère de normalité (Aka Dago-Akribi, 2001 [2]), le nombre d’enfants des parents (deux ou moins), le désir d’enfant chez le partenaire non informé du statut sérologique de la mère au VIH, le partenaire informé qui refuse de se faire tester et refuse l’usage du préservatif, le changement de statut matrimonial (le remariage de la mère après un veuvage), la dépendance affective et économique de la mère au partenaire.
     
  •        Les femmes séropositives qui ne manifestent pas de désir d’enfant, font prévaloir la santé personnelle, les difficultés actuelles pour surmonter les problèmes en relation avec le VIH (prise en charge, traitement...). Elles ont en général plus de trois enfants et insistent sur le parcours long et difficile avant de trouver une structure de prise en charge pour les enfants. Il s’agit souvent de femmes militantes d’association mais qui sont également informées des programmes de prévention de la transmission de la mère à l’enfant.  Elles sont très impliquées dans le devenir de l’enfant infecté. Pour celles qui ont deux enfants pris en charge dans le projet, elles regrettent de ne pas avoir connu plus tôt leur statut sérologique et eu connaissance de la prévention. Cependant elles reconnaissent qu’elles ont accepté de faire le test après leurs enfants et qu’il n’aurait pas été facile de le faire avant compte tenu des représentations négatives concernant les personnes vivant avec le VIH.

Sur le plan psychologique, on peut souligner que le désir d’enfant connaît un véritable remaniement. Il est en relation avec le lien de la mère à ses propres parents (sa mère, son père), à son partenaire, à l’enfant déjà là et à sa fratrie, à l’enfant imaginaire, celui de ses rêves qui canalise tous les espoirs. La surprotection de l’enfant déjà là est souvent pour la mère l’expression d’une certaine culpabilité qui nécessite un soutien particulier par la prise en charge psychologique  (Funck-Brentano,1994 ; Dumaret et al.,1995 ).

Chez ces mères qui sont jeunes, au delà du désir d’enfant c’est une quête affective personnelle qui leur permettra de se vivre comme sujet désirable pour l’autre malgré le sida. La femme élabore alors de nombreux mécanismes de défense qui lui permettent de lutter contre l’angoisse découlant de la connaissance de l’infection : réparation, déni, sublimation, rationalisation sont autant de moyens psychologiques pour exprimer ou pas tout désir d’enfant. 

CONCLUSION

Le désir d’enfant correspond à une représentation particulière de la maternité et de la filiation. Il  connaît des remaniements liés à de nombreux facteurs intrinsèques et extrinsèques qui sont en rapport chez la femme avec la connaissance de son infection, de celle de son enfant, des rapports avec son partenaire, de la dimension culturelle.

Par le désir d’enfant, ce que la femme recherche c’est sa place et la réparation à travers l’enfant sain à venir. Avec le virus du SIDA, elle se demande si elle compte désormais dans le désir de l’autre et si elle peut avoir un enfant sain. Dans ce contexte se pose également la problématique du devenir de cet enfant entre imaginaire (idéal) et réalité. Ainsi, autant l’enfant à venir répare, autant il détruit et culpabilise.

Il est important de soutenir ces mères sur le plan psychologique afin qu’elles retrouvent un épanouissement personnel et optimise leur relation avec l’enfant séropositif. Le VIH/SIDA est une réalité très douloureuse qui remanie la situation délicate de la femme dans une société en mutation où son statut reste problématique.

RÉFERÉNCES

  • Aka Dago-Akribi H, Msellati P, Yapi D, Welffens-Ekra C, Dabis F. 2001. Procreation and Child Desire of Women living with HIV in Abidjan, Côte d’Ivoire. Psychological, Health & Medicine, 2001, vol.6, N°3, 283- 291.
  • Aka Dago-Akribi H. 2001. Prise en charge psychologique du jeune enfant infecté par le VIH et né de mère séropositive, Abidjan. XIIè CISMA Ouagadougou.9-13 décembre 2001, Poster, 11 PT2- 114, p 162.
  • Blanche S. 1998. L’infection à VIH de la mère à l’enfant. Flammarion Médecine-Sciences, Paris, 1998, 313p.
  • Dabis F, Msellati P, N Méda & al. Six Month Efficacy, Tolerance and Acceptability of a Short Regimen of Oral Zidovudine in Reducing Vertical Transmission of HIV in Breast-Fed Children : A Double-Blind Placebo Controlled Multicentre Trial, ANRS 049a, Côte d’Ivoire and Burkina Faso. Lancet 1999 ; 353 : 786-92.
  • Desclaux A. et col. 2001.  Interprétations maternelles et médicales du risque de transmission mère-enfant du VIH et processus de décision en matière de procréation, Laboratoire d’Ecologie Humaine et d’Anthropologie, Université d’Aix-Marseille, Février 2001, 366p.
  • Desgrees du Loû, A., Msellati, P.,Viho I., & Welfens- Ekra, C. 1999. Le recours à l’avortement provoqué à Abidjan. Une cause de la baisse de la fécondité? Population , 54, 427- 446.
  • Dumaret AC, Boucher N, Rosset D, Donati P, Torossian V. 1995. Enfants nés de mères séropositives au VIH. Aspects psychosociaux et dynamique familiale. Éd INSERM, Paris, 1995, 157p.
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