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African Population Studies/Etude de la Population Africaine, Vol. 21, No. 2, 2006, pp. 125-155 Genre et sexualité des Jeunes à Bafoussam et Mbalmayo, Cameroun* Dr Rwenge Mburano Enseignant et chercheur, IFORD, Yaoundé, Cameroun Code Number: ep06014 En recourant aux données dune enquête sur les interrelations entre culture, genre et comportements sexuels réalisée au Cameroun, à Bafoussam (milieu Bamiléké) et Mbalmayo (milieu Bëti), nous nous sommes fixés comme objectif de cerner, en nous orientant vers la perspective de genre, les facteurs sociaux prédisposant les jeunes à prendre des risques dans lactivité sexuelle.Lanalyse de ces données a dabord révélé que lidéologie de la « masculinité » et celle de la « féminité » prévalent dans les milieux étudiés, mais les jeunes ont moins adhéré à ces idéologies que leurs parents. Nos données ont aussi révélé quen milieu Bamiléké, où le système de genre est très défavorable aux femmes, les garçons connaissent mieux que les filles les modes de transmission des MST/sida, le degré dacceptabilité des condoms y est plus élevé chez les premiers que les secondes et ceux-là ont des attitudes plus favorables aux condoms que celles-ci. Il est aussi ressorti que les jeunes Bëti sont plus enclins à prendre des risques dans lactivité sexuelle que les Bamiléké. Il en est aussi ressorti que les garçons sont plus enclins que les filles à être « infidèles » à leurs partenaires régulières (réguliers) mais les premiers sont plus enclins à lutilisation des condoms que les secondes. Enfin, nos données ont révélé que lâge et dautres caractéristiques des partenaires sexuels réguliers des jeunes font partie des facteurs les prédisposant à prendre des risques dans lactivité sexuelle, particulièrement chez les filles. Lon devrait améliorer les programmes dinformation et déducation des populations étudiées sur la santé des jeunes en tenant compte de lensemble de ces éléments. IntroductionUn cinquième de la population mondiale plus dun milliard de personnes a entre 10 et 19 ans et plus d une personne sur quatre dans le monde est âgée de 10 à 24 ans.1 Parmi ces jeunes, quatre sur cinq vivent dans les pays en développement, proportion susceptible daugmenter de 87 % dici lan 2020.2 Dans ces pays, le taux de nouvelles infections au VIH/sida est très élevé chez les jeunes de moins de 25 ans, les jeunes femmes étant généralement plus nombreuses que les jeunes hommes à contracter le VIH/sida.3 Après plusieurs années de sensibilisation et déducation des individus sur cette maladie, leur niveau de connaissance des modes de transmission et de prévention du VIH/sida a sensiblement augmenté, alors que leurs comportements nont pas significativement changé. En se référant, par exemple, aux données du Cameroun on observe, notamment chez les jeunes de 15-24 ans ayant participé à lEnquête Démographique et de Santé (EDS), que 80 % et 69 % des jeunes femmes et des jeunes hommes respectivement ont déclaré avoir déjà eu les rapports sexuels au cours de leur vie, contre 53 % et 55 % qui ont déclaré avoir été sexuellement actifs au cours du mois précédant lenquête. La même tendance se dégage de létude menée par Rwenge4 à Bamenda. Il est aussi ressorti de cette étude quune proportion importante des jeunes changent fréquemment de partenaires sexuels et ont des rapports sexuels avec des personnes ayant dautres partenaires. Cette activité sexuelle est dautant plus pleine de risque quelle est vécue sans préservatif, chez les jeunes filles en particulier. Plusieurs facteurs expliquent selon certains chercheurs le décalage entre niveau de connaissance du VIH/sida et dutilisation des condoms :
Nous nous proposons ici dapprofondir cette dernière hypothèse en nous orientant vers la perspective de genre. Celle-ci nous semble pertinente à lexplication des différences de comportements sexuels entre garçons et filles, particulièrement au niveau de lutilisation des condoms. Cest par là que nous comprendrons mieux pourquoi la prévalence du VIH/sida est davantage élevée chez celles-ci que chez ceux-là. Les objectifs spécifiques de cette étude sont alors didentifier les perceptions que les jeunes ont de leur première expérience sexuelle et de leur fécondité pré-maritale et de montrer comment elles varient selon le genre ; didentifier les perceptions que les parents ont de la première expérience sexuelle de leurs jeunes enfants ; de montrer comment les connaissances des jeunes sur les MST/sida et les condoms varient selon le genre ; dévaluer leur degré dacceptabilité des condoms, didentifier leurs attitudes vis-à-vis de ceux-ci et de montrer comment ils varient selon le genre ; de montrer comment leurs comportements sexuels et les caractéristiques de leurs partenaires sexuel (le) s varient selon le genre ; de mettre en évidence la relation entre la perception de la sexualité des garçons et leurs comportements sexuels ; de montrer que les caractéristiques des partenaires des jeunes font partie des facteurs de leur prédisposition à la prise de risques dans lactivité sexuelle. Pour atteindre ces objectifs cet article examine les données collectées auprès de 684 jeunes Bëti de Mbalmayo et Bamiléké de Bafoussam. Si lon en croit notamment Yana12, Rwenge13, 14 et Rwenge et Kandem15 , ces deux sociétés patriarcales ont des cultures différentes en matière de sexualité et de genre. Dans la première, les rapports de genre sont souples et les murs sexuelles permissives alors que dans la seconde le degré de domination des femmes est élevé et les murs sexuelles sont rigides. Par ailleurs, le culte des ancêtres, davantage pratiqué en milieu Bamiléké, permet à la famille de contrôler les attitudes et comportements des individus et de renforcer la solidarité et la cohésion familiales. Cette étude sera pour cela comparative. Méthodologie Définition des concepts Létude que nous menons porte sur les jeunes. Il sagit ici des individus âgés de 14-25 ans. Ce sont des individus qui traversent le passage de lenfance à lâge adulte. « Le concept de genre exprime le fait quau-delà des différences biologiques qui caractérisent chaque sexe, les différences de statut entre hommes et femmes et les rapports qui en découlent ont un caractère socialement construit ».16 Ce concept recouvre donc les différences entre les rôles qui sont assignés aux hommes et aux femmes, aux garçons et aux filles, en fonction de la culture et la société dans lesquels ils évoluent. On nattend pas ainsi la même chose des garçons et des filles et surtout lorsquil sagit de lactivité sexuelle. Et cela a des répercussions importantes sur les comportements sexuels des jeunes. Dans cette étude nous entendons par éducation sexuelle des jeunes le fait quils discutent avec leurs parents, camarades, enseignants, etc. des sujets sur la sexualité. Ces derniers comprennent non seulement les considérations psychologiques, affectives, socioculturelles et morales fondamentales de la sexualité mais aussi des données biologiques et les aspects sanitaires. Le terme partenaire régulier (ère) sera utilisé ici pour désigner une personne de sexe opposé avec qui le jeune a habituellement des rapports sexuels. Ces derniers sont, dans ce cas, intimes, stables et prioritaires par rapport à dautres relations. En revanche, nous entendons ici partenaire occasionnel (le), une personne avec qui le jeune a eu des rapports sexuels de façon occasionnelle (ponctuelle) et avec qui il na pas lintention de continuer dans lactivité sexuelle. Il sagit, par exemple, dune prostituée, dun client des prostituées, dune personne rencontrée occasionnellement lors dun voyage, etc. Nous entendons ici par rapports sexuels « extra-couples » les rapports sexuels que les jeunes ont eus avec des partenaires autres que leurs partenaires réguliers (ères). De même, nous désignons par rapports sexuels occasionnels les rapports sexuels quils ont eus avec des partenaires occasionnels. Données Les données utilisées sont issues dune enquête sur « Culture, Genre, Comportements Sexuels et MST/sida au Cameroun » réalisée en mars-avril 2000 à MBALMAYO (milieu Bëti) et BAFOUSSAM (milieu Bamiléké). La technique de sondage utilisée pour identifier les individus est celle par grappes à deux degrés. Au premier niveau, un certain nombre de quartiers ont été sélectionnés au hasard, proportionnellement à leurs tailles, et au second degré, le long de leurs axes de communication, les ménages, dans lesquels tous les individus, mariés et célibataires âgés de 15-49 ans, ont été enquêtés. Cette enquête a porté sur 1679 hommes et femmes âgés de 15-49 ans, 882 et 792 individus ayant été respectivement enquêtés dans ces milieux. On retrouve dans léchantillon respectivement 280 et 404 jeunes. Aussi bien les données quantitatives que qualitatives ont été collectées pendant lenquête. Les premières portent sur les caractéristiques socio-économiques et démographiques, les opinions des individus sur les statuts et rôles des femmes et les rapports de genre, leurs opinions sur la sexualité, leur connaissance et prise de conscience des MST/sida, leur connaissance et acceptabilité des condoms, leur pouvoir de prise de décision dans le domaine de la sexualité et leurs comportements sexuels. Les secondes sont essentiellement les informations détaillées sur des questions en rapport avec le genre et la sexualité. Celles-ci sont issues des entretiens et discussions de groupe réalisés dans chaque milieu étudié. Dans lensemble des jeunes, huit entretiens et deux discussions de groupe ont été réalisés dans chaque milieu. En plus, deux entretiens avec les jeunes clients des prostituées ont été réalisés en milieu Bamiléké et trois en milieu Bëti. Une seule jeune prostituée a participé aux entretiens dans ce second milieu et deux dans le premier. Relations entre données quantitatives et qualitatives Les données qualitatives ont été utilisées pour identifier les raisons pour lesquelles les jeunes, particulièrement les filles, adoptent des comportements sexuels « à risque » et nutilisent pas assez les condoms. Il sagit là notamment des discours sur les motivations des jeunes au multipartenariat, contenus dans les discussions de groupe et aux discours des prostituées et leurs clients sur le même sujet et lutilisation des condoms. Méthodes danalyse Les tableaux croisés ont été utilisés pour présenter les caractéristiques des jeunes enquêtés selon le genre et le milieu. Ils ont de même été utilisés pour identifier, non seulement les perceptions que les jeunes ont de leur sexualité et de leur fécondité et les perceptions que les parents ont de la sexualité de leurs enfants mais aussi les connaissances des jeunes sur les MST/sida, leurs connaissances et acceptabilité des condoms, leurs comportements sexuels et les caractéristiques de leurs partenaires sexuel (le) s. Les méthodes multivariées de régression logistique ont été utilisées pour cerner les facteurs de loccurrence chez les jeunes des rapports sexuels « extra-couples », les facteurs de lutilisation des condoms chez les jeunes et les facteurs explicatifs de la différence chez eux du risque dutiliser les condoms selon le genre. En ce qui concerne les données qualitatives, nous avons recouru à la technique danalyse du contenu. En effet, les discours issus des entretiens et discussions de groupe ont été dabord rationnellement organisés et minutieusement lus, afin de simprégner de leur contenu. Lanalyse a été, ensuite, faite en recourant à la technique danalyse thématique, qui nest pas une technique danalyse du contenant (dont les critères de découpage sont syntaxiques) mais une technique danalyse du contenu (dont les critères de découpage sont sémantiques). Lorganisation des catégories et la sélection de celles condensant le contenu essentiel ont été faites thème par thème. Résultats Caractéristiques des jeunes enquêtés Le tableau 1 donne la répartition des jeunes enquêtés selon leurs caractéristiques, le milieu socioculturel et le genre. Dans lensemble, le pourcentage de jeunes âgés de 15-19 ans (50,9 %) est presque égal à celui de ceux âgés de 20-24 ans (49,1 %). En milieu Bëti il y a un déséquilibre important entre les deux groupes (56, 1 % et 43,9 %) au contraire notamment de ce qui ressort dans lautre milieu (47,3 % et 52,7 %). Tableau 1 : Caractéristiques des jeunes enquêtés
Le pourcentage de jeunes célibataires est plus important (80,4 %) que celui de mariés (19,6 %). Dans chaque milieu socioculturel on observe une association notable entre le genre et létat matrimonial. Le pourcentage de jeunes mariés est en effet plus élevé chez les filles (31,5 % en milieu Bamiléké et 30,4 % en milieu Bëti) que chez les garçons (respectivement 3,5 % et 15,2 %). Cest le signe dun plus grand encadrement social des filles dans les deux milieux. Lorsquon distingue les unions libres des autres, on constate que les premières sont davantage représentées, aussi bien chez les garçons que chez les filles, en milieu Bëti (résultats non présentés). Cest le signe, non seulement de la liberté des garçons et filles Bëti dans le choix de leurs conjoints, mais aussi de leur liberté sexuelle. Près de la moitié des jeunes enquêtés sont scolarisés (47,1 %). Lorsquon tient compte du genre on constate que la proportion des jeunes scolarisés est plus élevée dans les deux milieux chez les garçons (52,5 % en milieu Bamiléké et 53,6 % en milieu Bëti) que chez les filles (40,8 % quel que soit le milieu). Dans lensemble, 22,7 % des jeunes sont de niveau primaire, 52 % de niveau secondaire premier degré et 25,3 % de niveau secondaire second degré ou supérieur. Dans les deux milieux étudiés, le niveau dinstruction des garçons est plus élevé que celui des filles. En milieu Bamiléké, par exemple, 16,7 % des garçons sont de niveau primaire, 40,6 % de niveau secondaire premier degré et 42,7 % de niveau secondaire second degré ou supérieur. Chez les filles, les pourcentages de jeunes de niveau primaire (32,7 %) et de niveau secondaire premier degré (47,3 %) sont davantage élevés au contraire notamment de celui de jeunes de plus haut niveau dinstruction (20 %). Cest la même tendance qui ressort dans lautre milieu mais ici lécart entre garçons et filles est faible. Dans lensemble des jeunes enquêtés, 13,9 % ont déclaré être inactifs, 47,1 % élèves ou étudiants, 15,5 % agriculteurs, 15,2 % cadres ou employés et 8,5 % commerçants. Dans les deux milieux, le pourcentage de jeunes inactifs (cest-à-dire qui ne vont pas à lécole et ne travaillent pas) est davantage élevé chez les filles (26,8 % et 25,5 % respectivement en milieux Bamiléké et Bëti) que chez les garçons (respectivement 1,5 % et 1,8 %). Parmi les filles qui exercent une activité, on retrouve davantage les agricultrices, particulièrement dans le second milieu. En revanche, les jeunes commerçants, cadres ou employés sont davantage représentés dans les deux milieux chez les garçons que chez les filles. Au moment de lenquête, 74 % des jeunes ont déclaré ne pas avoir denfant, 17,6 % ont déclaré avoir un enfant et 8,6 % deux enfants. Dans les deux milieux, le pourcentage de jeunes ayant au moins un enfant est plus élevé chez les filles (33,8 % en milieu Bamiléké et 50 % en milieu Bëti) que chez les garçons (10,1 % et 16,3 % respectivement). On constate aussi que la fécondité des jeunes est davantage intense dans ce dernier milieu que dans le premier. Perceptions que les jeunes ont de leur sexualité et de leur fécondité La perception que les jeunes ont de la virginité des filles avant le mariage varie selon le milieu. Le pourcentage de jeunes favorables à cela est, en effet, plus élevé en milieu Bamiléké (50,9 %) quen milieu Bëti (41,5 %) (tableau 2). La perception que les jeunes ont de la virginité des filles ne varie pas du tout selon le genre dans les deux milieux. De même, les jeunes défavorables à loccurrence de la première expérience sexuelle des garçons avant le mariage sont davantage représentés dans le premier milieu (39,5 % contre 24,4 %). On observe quen milieu Bamiléké, les filles (29,4 %) sont moins défavorables à cela que les garçons (50,5 %). Tableau 2 : Perceptions que les jeunes ont de leur sexualité et fécondité, selon le genre et le milieu
*** p ≤ 0,05 Les jeunes Bëti (20,7 %) sont plus favorables à la fécondité pré-maritale des filles que les Bamiléké ( 13,5 %). Cette relation persiste lorsquon tient compte du genre. On observe aussi, dans ce cas, que les filles sont, quel que soit le milieu, plus favorables (28,6 % et 18,5 % respectivement) à leur fécondité pré-maritale que les garçons (14,1 % et 7,6 % respectivement). Le pourcentage de jeunes favorables à la fécondité pré-maritale des garçons est davantage élevé que celui observé dans le cas de la fécondité pré-maritale des filles (36,2 % contre 20,7 % en milieu Bëti et 26 % contre 13,5 % en milieu Bamiléké). De même, on observe que les Bëti sont plus favorables à la fécondité pré-maritale des garçons que les Bamiléké. Cest uniquement dans ce dernier milieu que les filles (30,6 %) sont plus favorables à cela que les garçons (20,8 %). Le pourcentage de jeunes favorables à leur éducation sexuelle est élevé dans les deux milieux socioculturels, mais davantage en milieu Bamiléké (84,7 % dans le cas des filles et 84,9 % dans celui des garçons) quen milieu Bëti (70,3 % et 74,8 % respectivement). Cette dernière relation persiste lorsquon tient compte du genre. Quel que soit le milieu, la perception que les jeunes ont de leur éducation sexuelle ne varie pas selon le genre. Les jeunes garçons et filles pensent, dans les deux milieux socioculturels, que dans le cadre familial, le père devrait soccuper de léducation sexuelle des garçons et la mère de celle des filles (résultats non présentés). Ils pensent de même, quen dehors du cadre familial, les filles devraient discuter des sujets sur la sexualité davantage avec leurs camarades de même sexe quavec ceux de sexe opposé alors quils nimposent pas cette restriction aux garçons (résultats non présentés). Cependant, il est ressorti des interactions entre jeunes filles, pendant les discussions de groupe, que certaines dentre elles sont contre ce modèle quelles qualifient de « traditionnel » ; lextrait suivant tiré du discours des jeunes informatrices Bamiléké le montre : « ce sont les mamans qui soccupent généralement des filles dans ce cas mais si les pères pouvaient aussi le faire, elles seraient davantage mieux préparées à éviter les risques des MST/sida associés à leur activité sexuelle ». Perceptions que les parents ont de la sexualité et de la fécondité de leurs jeunes enfants Les parents Bamiléké sont davantage favorables (53,7 %) que les Bëti (41,8 %) à la virginité de leurs filles avant le mariage (tableau 3). La différence entre les deux groupes persiste lorsquon tient compte du genre mais elle est davantage grande chez les femmes que chez les hommes. Dans les deux milieux socioculturels, lassociation entre genre et perception de la virginité des filles est non significative, particulièrement en milieu Bamiléké. Tableau 3 : Perceptions que les parents ont de la sexualité et de la fécondité des jeunes
*** p ≤ 0,05 Le pourcentage de parents favorables à ce que la première expérience sexuelle de leurs jeunes garçons se déroule avant le mariage est plus important en milieu Bëti (72,9 %) quen milieu Bamiléké (64,5 %). Cependant lorsquon tient compte du genre, on observe la même relation uniquement chez les femmes. Lassociation entre genre et perception de la première expérience sexuelle pré-maritale des jeunes garçons sobserve uniquement en milieu Bëti, les femmes (78,6 %) étant plus favorables à cela que les hommes (67,0 %). On observe de même ici, dans les deux milieux socioculturels, quel que soit le sexe des répondants, que les parents sont plus favorables à la première expérience sexuelle pré-maritale de leurs jeunes garçons quà celle de leurs jeunes filles. En ce qui concerne la fécondité pré-maritale des jeunes filles, un faible pourcentage de parents est favorable à cela dans les deux milieux socioculturels. Dans lensemble, la différence entre les deux milieux est non significative. Mais lorsquon tient compte du genre, on observe, notamment chez les hommes, que les parents Bëti (19,1 %) sont plus favorables à la fécondité pré-maritale des jeunes filles que les Bamiléké (11,5 %). On observe aussi chez ces derniers que les femmes (20,6 %) sont plus favorables à cela que les hommes (11,5 %). Les mêmes tendances se dégagent lorsquon examine les perceptions que les parents ont de la fécondité pré-maritale de leurs jeunes garçons. Enfin, on observe de même ici, que le les parents sont, quels que soient le milieu et le genre, plus favorables à la fécondité pré-maritale de leurs jeunes garçons quà celle de leurs jeunes filles. Dans lensemble, la majorité des parents sont favorables à léducation sexuelle de leurs jeunes enfants. Cependant, au contraire notamment de ce qui ressort en milieu Bëti, où le pourcentage de parents favorables à léducation sexuelle de leurs jeunes filles ne varie pas selon le genre, dans lautre milieu, les hommes sont plus favorables à cela que les femmes. Cest le même schéma qui se dessine lorsquon examine les perceptions que les parents ont de léducation sexuelle des jeunes garçons. Enfin, lorsquon compare les perceptions des parents à celles de leurs jeunes enfants, on remarque quelles se ressemblent dans le cas où le sujet abordé est la virginité des filles. Dans le cas de la sexualité des garçons, on nobserve le contraire quen milieu Bamiléké, lorsquon compare notamment les perceptions des hommes à celles de leurs garçons, les premiers étant davantage favorables à cela que les seconds. Dans le cas de la fécondité pré-maritale des filles, la différence entre les perceptions des parents et celle de leurs jeunes enfants ne sobserve quen milieu Bëti chez les femmes, les jeunes filles étant davantage favorables à cela que leurs mères. Dans le cas de la fécondité pré-maritale des garçons, la différence entre les deux groupes sobserve chez les hommes, en milieu Bamiléké, et chez les femmes, en milieu Bëti ; dans le premier, les jeunes sont davantage défavorables à cela, au contraire de ce qui ressort dans le second. Donc, en milieu Bëti, les jeunes filles sont davantage favorables que leurs mères à leur fécondité pré-maritale et à celle des garçons. En ce qui concerne léducation sexuelle des jeunes, les perceptions des parents diffèrent de celles de leurs enfants uniquement en milieu Bamiléké, ces derniers étant plus favorables à cela que les premiers. Connaissances des MST/sida et sources dinformations sur ces maladies Presque la totalité des jeunes enquêtés connaissent les MST dans les milieux étudiés. Cependant, lorsquon tient compte du genre, on constate quen milieu Bamiléké le pourcentage de jeunes garçons (98,9 %) qui connaissent ces maladies est significativement plus élevé que celui de jeunes filles (90,6 %) (tableau 4). La plupart des jeunes connaissent dans les deux milieux étudiés les MST les plus fréquents notamment la syphilis, la blennorragie et le sida. Cette dernière maladie, la plus dangereuse des trois, est mieux connue, notamment en milieu Bamiléké, par les garçons que les filles. Le pourcentage de ceux là (92,4 %) qui connaissent que le sida est une maladie sexuellement transmissible est, en effet, significativement plus élevé que celui de celles-ci (84,7 %). Tableau 4 : Pourcentage de jeunes connaissant les MST/sida et ses différents modes de transmission, selon le genre et le milieu
La totalité des jeunes enquêtés ont déjà entendu parler du sida dans les milieux étudiés mais davantage des jeunes filles (32,9 %) que des jeunes garçons (21,6 %) continuent à penser, particulièrement en milieu Bëti, que cette maladie ressemble à dautres MST. Lorsquon compare les deux milieux, on constate que la proportion des jeunes ayant cette perception du sida est, quel que soit le genre, plus élevé en milieu Bëti quen milieu Bamiléké (15,5 % chez les filles et 11,6 % chez les garçons). Laplupart des jeunes connaissent dans les milieux étudiés le principal mode de transmission du sida dans leur localité de résidence, à savoir la transmission via les rapports sexuels. Lorsquon tient compte du genre on observe, en milieu Bamiléké notamment, que le pourcentage de jeunes garçons (88,7 %) connaissant ce mode de transmission est significativement plus élevé que celui de filles (78,6 %). En revanche, les autres modes de transmission sont connues par une proportion plus élevée des filles que des garçons. Connaissance, acceptabilité et attitudes vis-à-vis des préservatifs Presque la totalité des jeunes ont entendu parler des condoms. Cependant, une proportion non négligeable des jeunes, particulièrement des filles, nont pas encore vu ou touché un condom. En milieu Bamiléké, par exemple, le pourcentage de jeunes ayant déjà vu un condom est de 91,1 % et celui de jeunes layant déjà touché de 60,6 % (tableau 5). Lorsquon tient compte du genre, le pourcentage de garçons layant déjà vu (95,1 %) est significativement plus élevé que celui de filles (87,9 %). Lécart entre les deux groupes sagrandit lorsquon examine le pourcentage de jeunes ayant déjà touché un condom (76 % contre 48 %). Il importe de faire remarquer quune différence significative et positive entre les Bëti et Bamiléké est observée dans ce dernier cas. Tableau 5: Pourcentage de jeunes connaissant les condoms et de ceux pouvant accepter de les utiliser, selon le genre
Le pourcentage de jeunes qui accepteraient dutiliser les condoms est très élevé dans les deux milieux socioculturels (85 % en milieu Bamiléké et 87,4 % en milieu Bëti). Dans le premier milieu, on observe que les garçons (88,8 %) en sont plus favorables que les filles (81,9 %). Les conditions dacceptabilité des condoms sont les mêmes dans les deux milieux, à savoir éviter les MST et retarder ou éviter une grossesse. Lorsquon tient compte du genre, on constate que le pourcentage de jeunes ayant explicitement fait allusion au sida parmi leurs conditions dacceptabilité des condoms est davantage élevé chez les garçons que les filles. Les attitudes des jeunes vis-à-vis des individus condamnant dans leur localité lutilisation des condoms ne varie pas significativement selon le milieu socioculturel. Lorsquon les examine, selon le genre, on remarque, en milieu Bamiléké, que le pourcentage de jeunes ayant des attitudes favorables est davantage élevé chez les filles que chez les garçons. De même, le pourcentage de jeunes filles Bamiléké ayant des attitudes favorables est plus élevé que celui de Bëti. Certains jeunes sont dans les deux milieux étudiés favorables aux individus qui condamnent lutilisation des condoms parce que celle-ci favorise selon eux linfidélité et la prostitution, limite les plaisirs sexuels et entraîne des problèmes de santé chez la femme (intervention chirurgicale consécutive à la déchirure du condom dans le vagin, cancer de lutérus, etc.) (résultats non présentés). Les raisons religieuses ont été aussi évoquées mais par la minorité des jeunes. Comportements sexuels La majorité des jeunes ont déjà eu leurs premiers rapports sexuels dans les milieux étudiés. Cependant, on observe que le pourcentage de jeunes ayant déjà eu leurs premiers rapports sexuels est plus élevé en milieu Bëti quen milieu Bamiléké (tableau 6). Lorsquon tient compte du genre, cest dans ce dernier milieu quil est plus élevé chez les garçons (76,1 %) que chez les filles (68,9 %). Tableau 6 : Comportements sexuels des jeunes, selon le genre et le milieu
Le pourcentage de jeunes ayant eu leurs premiers rapports sexuels avant 16 ans est de quatre sur dix en milieu Bëti (43,3 %) alors que dans lautre milieu il est deux fois moins élevé (23,0 %). Cette relation persiste lorsquon tient compte du genre. Quel que soit le milieu considéré, le pourcentage de garçons (52,5 % et 29,9 % respectivement) ayant eu leurs premiers rapports sexuels avant 16 ans est plus élevé que celui de filles (32,4 % et 16,8 % respectivement). De même, le pourcentage de jeunes ayant eu au cours des douze derniers mois des rapports sexuels « extra-couples » est plus élevé en milieu Bëti (41,7 %) quen milieu Bamiléké (26,4 %). La même tendance se dégage lorsquon compare les garçons entre eux et les filles entre elles. Quel que soit le milieu, les jeunes garçons sont plus enclins à l « infidélité » que les filles. On aboutit aux mêmes relations lorsquon examine les pourcentages de jeunes ayant eu au cours de la même période des rapports sexuels occasionnels. Au contraire notamment des jeunes Bamiléké, les Bëti (28,5 %) sont moins enclins à lutilisation des condoms que les premiers (51,1 %). Lorsquon tient compte du genre, les jeunes filles sont, quel que soit le milieu, moins enclines à cela. Tableau 7 : Caractéristiques des partenaires sexuel(le)s réguliers (lières) des jeunes, selon le genre et le milieu
Quel que soit le milieu, les jeunes filles recrutent leurs partenaires sexuels parmi les hommes plus âgés quelles (tableau 7). En revanche, les jeunes garçons recrutent les leurs dans les groupes des jeunes. On observe, par exemple, en milieu Bamiléké, que 64,1 % des filles ont des partenaires sexuels âgés au moins de 25 ans alors que chez les garçons seulement 1,2 % des jeunes ont des partenaires de cet âge. Cest le même schéma qui se dessine en milieu Bëti. Lorsquon compare les deux milieux, on constate que dans ce dernier milieu 90,9 % des jeunes garçons enquêtés ont des partenaires âgés de 14-19 ans et 7,3 % des partenaires âgés de 20-24 ans. Dans le second, ces proportions sont respectivement 72,8 % et 25,9 %. Ainsi, en milieu Bëti, presque la totalité des jeunes garçons âgés de 20-24 ans ont des partenaires plus jeunes. Au contraire notamment des filles, la plupart des jeunes garçons recrutent leurs partenaires sexuelles parmi leurs collègues de classe. Il en résulte que la plupart des filles ont des partenaires de niveau élevé dinstruction ou exerçant une activité économique. Facteurs prédisposant les jeunes à l « infidélité L « infidélité » au (à la) partenaire sexuel (le) régulier (ière) est un comportement sexuel favorable chez les jeunes à la contamination par les MST/sida. Nous nous proposons à présent didentifier les facteurs les prédisposant à ce comportement sexuel. Pour y arriver nous avons recouru au modèle multivarié de régression logistique sur loccurrence aux cours des 12 derniers mois des rapports sexuels « extra-couples » chez les jeunes. Lessentiel des résultats obtenu est repris dans le tableau 8. Toutes choses égales par ailleurs, les jeunes filles ont 80 % moins de risque davoir été infidèles à leurs partenaires sexuels réguliers au cours de la période de référence considérée. Les jeunes dont les partenaires sexuels réguliers sont trop âgés ont 2,62 fois plus de risque davoir adopté ce comportement que ceux qui les recrutent dans les groupes des jeunes. On observe aussi un lien entre lactivité économique des répondants et leurs comportements sexuels. Les jeunes commerçants sont 2,37 fois plus enclins à linfidélité que les élèves ou étudiants. De même, toutes choses égales par ailleurs, les jeunes qui recrutent leurs partenaires sexuels réguliers parmi les cadres ou employés ont 2,21 fois plus de risque davoir été infidèles que ceux qui les recrutent parmi leurs collègues élèves ou étudiants. Ceux qui les recrutent parmi des individus exerçant dautres activités économiques ont 1,97 fois plus de risque davoir adopté ce comportement que ceux du groupe de référence. Le niveau dinstruction du partenaire est aussi lié au comportement sexuel étudié. Lorsquun jeune a un partenaire sexuel régulier de niveau primaire, son risque dêtre infidèle est 88 % moins élevé que lorsquil a un partenaire de niveau dinstruction élevé. Enfin, la situation matrimoniale des jeunes et leur appartenance ethnique sont aussi liées à leur comportement sexuel. Les jeunes vivant en union sont 90 % moins enclins à linfidélité que les célibataires. Toutes choses égales par ailleurs, les Bëti sont 3,11 fois plus enclins à linfidélité que les Bamiléké. Tableau 8 : Risques relatifs davoir été « infidèle » au (à la) partenaire régulier (ière) au cours des 12 derniers mois
Facteurs de lutilisation des condoms chez les jeunes Toutes choses égales par ailleurs, trois variables déterminent lutilisation des condoms chez les jeunes enquêtés, à savoir leur activité économique, leur âge et leur appartenance ethnique. Les jeunes inactifs et agriculteurs sont moins enclins à lutilisation des condoms que les élèves ou étudiants. Ils ont respectivement 69 % et 70 % moins de risque dutiliser les condoms que ceux-ci (tableau 9). Les jeunes âgés de 20-24 ans ont 1,93 fois plus de risque dutiliser les condoms que les plus jeunes. Toutes choses égales par ailleurs, les Bëti ont 65 % moins de risque dutiliser les condoms que les Bamiléké. Tableau 9 : Risques relatifs dutilisation des condoms au moment de lenquête chez les jeunes
Les modèles pas à pas mettent en exergue les mécanismes par lesquels certaines variables influencent lutilisation des condoms. En effet, les variables comme genre, fréquence de la discussion au sein du couple et prise de décision étaient significativement liées à lutilisation des condoms avant le contrôle de lâge du partenaire mais après leurs effets sont devenus non significatifs. Dans le premier cas, les jeunes filles avaient 48 % moins de risque dutiliser les condoms que les jeunes garçons. Les jeunes qui discutent souvent avec leurs partenaires sexuels avaient 1,84 fois plus de risque dutiliser les condoms que ceux qui nen discutent jamais. Quel que soit le sexe du jeune enquêté, le risque dutiliser les condoms était 2,23 fois plus élevé lorsque la fille prend les décisions sur la manière de faire les rapports sexuels que lorsque le garçon le fait. Il ressort du tableau 10 que cest en contrôlant la parité atteinte que les différences des risques dutiliser les condoms selon lâge du partenaire sont devenues non significatives. En effet, avant la prise en compte de cette variable, les jeunes dont les partenaires sont âgés de plus de 25 ans avaient 59 61 % moins de risque dutiliser les condoms que ceux dont les partenaires sont plus jeunes. Le contrôle de la parité a annulé les différences observées au niveau de lâge du partenaire. Tableau 10 : Facteurs explicatifs de la différence chez les jeunes de la prévalence de lutilisation des condoms selon lâge du (de la) partenaire
Motivations au multipartenariat Selon les jeunes scolarisés Pendant les discussions de groupe auxquelles ont participé les jeunes filles et garçons scolarisés, il leur a été posé les questions suivantes dans le but de connaître leurs motivations au multipartenariat : Quest ce qui pousse les jeunes filles à avoir plusieurs partenaires sexuels ? Quen est-il des jeunes garçons ? Le tableau 11 reprend les réponses de nos informateurs et informatrices à ces questions dans les deux populations étudiées. Il ressort de ce tableau que la recherche du plaisir sexuel et linfluence des camarades sont les principaux facteurs motivant les jeunes garçons à avoir plusieurs partenaires sexuelles. Linfluence des camarades détermine le multipartenariat chez les jeunes garçons par le phénomène dimitation et celui de concurrence entre jeunes garçons fréquentant une même école ou résidant dans un même quartier. En effet, le fait davoir plusieurs copines accorde à un jeune garçon davantage de prestige dans son groupe. Ce qui peut entraîner certains de ses amis à limiter et dautres à montrer quils sont plus forts que lui, en ayant beaucoup plus de copines. Tableau 11 : Motivations au multipartenariat chez les jeunes
Les facteurs du multipartenariat dans le cas des filles sont la pauvreté, la recherche des facilités, la recherche du plaisir sexuel, lintérêt accordée aux distractions et balades et linfluence des camarades. Parmi ces facteurs, cest la pauvreté quon retrouve dans tous les groupes de discussion. Lon peut alors présumer quelle est le principal facteur du multipartenariat chez les jeunes filles. En dautres termes, dans les populations étudiées, la plupart des jeunes filles ont plusieurs partenaires sexuels pour disposer des ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins. Nos informatrices sont bien lucides là dessus lorsquelles disent ceci : « Cest largent ; à lécole, les jeunes filles disent souvent ceci : celui-ci cest le sponsor, celui-là cest le rythmeur et lautre cest le frappeur ; le sponsor cest celui qui finance, le rythmeur cest celui avec qui tu peux te balader et le frappeur cest celui qui assure, cest-à-dire il peut te satisfaire plus que les autres sur le plan de la sexualité » (Jeunes filles, Focus Group Discussion, Bafoussam). En fait, dans tous les trois cas de figure, le pouvoir économique du partenaire sexuel joue un rôle important dans la durabilité des relations. Ce qui veut dire que plus le pouvoir économique du premier partenaire sexuel dune jeune fille rencontré au début dune période donnée est élevé, moins sera le nombre de ses partenaires sexuels au cours et à la fin de celle-ci. Et ce nombre sera encore plus faible si la jeune fille est aussi économiquement aisée, si le premier partenaire sexuel est un bon « rythmeur » et un bon « frappeur » et si en plus elle vie dans une société où les murs sexuelles sont rigides. La plupart des jeunes garçons étant encore économiquement dépendants, les jeunes filles recrutent leurs sponsor dans les générations plus âgées, avec qui elles ont des rapports sexuels réguliers et quelles entretiennent en même temps des relations avec des jeunes garçons, avec qui elles ont des rapports sexuels irréguliers. La pauvreté rend donc les jeunes filles davantage vulnérables. Enfin, étant donné que la recherche des facilités a été évoquée, en milieu Bëti notamment, parmi les raisons du multipartenariat chez les filles, nous pouvons présumer que certaines filles s engagent dans cette activité sexuelle pour augmenter aussi leur chance de réussite scolaire. Ainsi, elles recrutent certains de leurs partenaires sexuels parmi les collègues intellectuellement habiles ou les enseignants. Selon les jeunes filles prostituées et leurs clients Les raisons dentrée dans la prostitution ont été saisies pendant les entretiens individuels que nous avons eus avec les jeunes prostituées dans les deux milieux étudiés. Les discours des prostituées Bëti montrent que les problèmes de survie sont leurs principales raisons dentrée dans cette activité sexuelle. Pour une jeune informatrice Bëti cest le fait dêtre séparée davec le père de son enfant qui la motive à se prostituer. En effet, étant dans ce cas confrontée régulièrement à des besoins de survie : logement, alimentation, santé et entretien de lenfant, elle se prostitue pour résoudre facilement ces problèmes. Cest ce qui ressort aussi du discours dune très jeune informatrice « Je sors souvent parce que je veux danser mais aujourdhui comme jai des problèmes dargent ( ) Cest beaucoup et cest 15000 que je cherche pour constituer un dossier à Obeck. Mes amies ont déjà donné ça mais moi pas encore » (Jeune prostituée, 15 ans, Mbalmayo). Il sagit donc dun exemple des jeunes filles qui étant encore chez leurs parents se prostituent par moment à la recherche de largent nécessaire à la résolution de leurs problèmes. Cest aussi pour des raisons économiques quune prostituée Bamiléké avec qui nous nous sommes entretenus exerce lactivité prostitutionnelle : « je vis ensemble avec un ami marié à trois femmes. Cest un grand responsable à la mairie ( ) Je fais des clins dil ailleurs mais en cachette quand jai de petits problèmes ( ) Mais si je trouve mon compte, jarrête ». Compte tenu de leurs conditions difficiles de vie, les prostituées préfèrent avoir des clients économiquement aisés ; mais comme ce nest pas toujours facile quelles le sachent à lavance toutes les catégories des hommes sont leurs clients de fait, aussi bien les jeunes célibataires que les mariés. Ceux-ci fréquentent celles-là pour satisfaire leurs désirs sexuels : « Quand on sort, on na pas ce type didées dans la tête, cest suite à lambiance quon part ensuite avec les femmes ( ) On va, on prend un pot et quelques temps après au cours de la soirée, on sent une envie subite de rentrer avec une fille » (Jeune homme Bamiléké, client des prostituées, 23 ans, célibataire, Bafoussam). « Lorsque ma copine de la maison essaie de me faire les chichis, je pars dehors mamuser un peu » (Jeune homme Bëti, client des prostituées, 20 ans, célibataire, Mbalmayo). Lindisponibilité de la partenaire régulière nintervient pas chez certains clients sur leurs motivations à la fréquentation des prostituées. Un client Bamiléké est mêmes très lucide là-dessus quand il dit ceci : « Il y a des actes quon ne peut pas avoir avec la petite de la maison parce que ce nest pas très beau ( ) Tu ne peux pas demander à ta meilleure amie de te faire une pipe ; or à celle que tu as donné de largent, sans même le demander, elle te taille une pipe (qui est une stimulation bucco-linguale du pénis) ( ) Tu ne peux pas aussi sodomiser avec une femme avec qui tu es à la maison » (Jeune homme Bamiléké, client des prostituées, 23 ans, Bafoussam). Considérant donc certaines pratiques sexuelles nécessaires à leur assouvissement complet comme étant indignes dans les « couples », les jeunes hommes fréquentent les prostituées, à qui ils proposent de largent en échange. Et, face à leurs problèmes importants de survie, celles-ci sont contraintes daccepter toute forme dacte sexuel que leurs clients leur proposent. Raisons de la non utilisation des condoms Nous nous intéressons ici aux raisons évoquées par les jeunes adultes filles prostituées et les jeunes clients des prostituées. Selon les premières, elles proposent les condoms à leurs clients mais certains refusent pour le plaisir sexuel quils veulent à tout prix avoir pendant lacte sexuel, comme le montre les extraits suivants de leurs discours : « Ils disent carrément quils naiment pas ça parce quils veulent faire lamour en contact direct avec le corps ( ) Ils disent quavec le condom, ils ne sentent vraiment pas la chaleur de la femme » Parmi ceux qui acceptent il y a même certains qui, ayant pris au départ conscience du risque en utilisant les condoms, changent leurs attitudes vis-à-vis de ceux-ci après avoir eu plusieurs rapports sexuels avec les mêmes prostituées : « Quand on fait lamour, on retire le condom et après on le jette ( ) Parfois lenvie remonte, on rentre sur la même personne sans se chausser (cest-à-dire sans utiliser les condoms) ; on fait semblant déviter les maladies mais en réalité on névite vraiment pas » (Jeune Bamiléké, client des prostituées, 23 ans, Bafoussam). Plusieurs hypothèses dexplication de ces attitudes sont possibles : soit la précarité des conditions de vie motivent certains jeunes clients des prostituées à négliger leur santé au profit de leur plaisir sexuel soit lexistence du sida est encore un mythe pour dautres si lon en croit notamment les discours suivants dun informateur et dune informatrice : « Oui, on discute parfois, pour eux cest une maladie mystique ( ) Et ils disent que ça fait depuis quils sont dehors, ils nont jamais vu des filles ayant le sida ( ) Ils disent aussi quils entendent les gens dire que telles filles quils ont sorties ont le sida mais quand ils vont à lhôpital cest négatif » (Homme Bëti, client des prostituées, Mbalmayo). « Lorsque je leur demande sils nont pas peur de la mort, ils me demandent quils doivent avoir peur de la mort pourquoi ? Est-ce que sils ne meurent pas du sida, ils ne vont pas mourir le lendemain ? » (Femme Bamiléké, prostituée, Bafoussam). Conclusions Nos données ont révélé que les jeunes Bëti sont plus favorables à leur première expérience sexuelle pré-maritale que les Bamiléké. Elles ont de même révélé, dans ce dernier milieu, que les jeunes filles sont davantage favorables à la première expérience sexuelle pré-maritale de leurs camarades de sexe opposé. Cest grosso modo le même schéma qui est ressorti dans le groupe des parents mais, cette fois-ci, cest en milieu Bëti que les femmes sont favorables à la première expérience sexuelle pré-maritale des garçons. Les jeunes et leurs parents se sont avérés, quelles que soient leurs caractéristiques, plus favorables à la sexualité pré-maritale des garçons quà celle des filles. Enfin, cest uniquement en milieu Bêti que les jeunes garçons se sont avérés plus favorables à lactivité sexuelle pré-maritale de leurs camarades de même sexe que les filles. Ces résultats confirment lidée selon laquelle dans les deux sociétés patriarcales, on nattend pas la même chose des garçons et filles dans lactivité sexuelle. Les premiers doivent être sexuellement expérimentés avant de se marier alors que les filles doivent rester vierges. Les jeunes ayant participé aux discussions de groupe justifient cela par la croyance selon laquelle cest lhomme qui doit initier les rapports sexuels dans un couple et le lien positif entre la virginité de la fille et sa chance de se marier. Il serait alors inconcevable quil le fasse pour la première fois pendant la nuit des noces. En dautres termes, le jeune garçon doit être suffisamment sexuellement expérimenté avant le mariage pour éviter dêtre ridiculisé plus tard par sa future épouse. Balmer et ses collègues17 confortent cette hypothèse lorsquils disent que dans certaines sociétés kenyanes on apprend aux filles dêtre passives dans lactivité sexuelle, quelles ne devraient pas initier lacte sexuelle ou être des actrices actives dans ce domaine. Il en est de même de Obbo18 lorsquelle dit ceci dans sa communication présentée au Colloque de Sali sur « Sciences sociales et sida en Afrique » « They [cest-à-dire les femmes africaines] live in a milieu in which everyday gender ideology regards women as socially worthy only when they marry and have children.The ideology of wifehood and motherhood divides women into two categories : « good women » who are virgins before marriage and sexually monogamous when married ; and « torse women » who are sexually « promiscuous » ». Weiss et ses collègues19 confortent aussi cette hypothèse dans leur étude sur la sexualité des adolescents dans les pays en développement. Lon devrait alors mettre en place des programmes dinformation et déducation des jeunes et leurs parents via les médias, la famille et la communauté pour lutter contre les stéréotypes et changer les idéaux favorables à la promiscuité sexuelle chez les garçons et à la passivité des filles dans lactivité sexuelle dautant plus quils sont associés à leur adoption des comportements sexuels facilitant la transmission du HIV/sida. Les différences ethniques observées au niveau des perceptions de la sexualité des jeunes confortent lhypothèse issue des travaux réalisés par certains anthropologues sur les populations étudiées - Hurault 20 en milieu Bamiléké et Ombolo 21 et Alexandre et Binet 22 en milieu Bëti - selon laquelle les murs sexuelles sont rigides dans le premier milieu et permissives dans le second. Les différences observées au niveau des perceptions de la fécondité pré-maritale confortent celles explicitées plus haut au niveau de la sexualité pré-maritale. Mais le fait que les filles se sont avérées plus favorables à leur fécondité pré-maritale que les garçons traduit le rôle que celle-ci joue dans la définition du statut social de la femme. En fait, certaines filles sont favorables à cela parce quavoir un enfant avant le mariage est une preuve de leur fécondité. Cest pourquoi, en milieu Bamiléké notamment, les mères se sont avérées plus favorables à la fécondité pré-maritale de leurs filles que les pères. Le fait quen milieu Bamiléké, les jeunes garçons se sont avérés plus défavorables que leurs parents à leur sexualité et fécondité pré-maritales, signifient que les modèles culturels de genre et sexualité y sont en cours de changement. Il importe par conséquent dimpliquer suffisamment les jeunes à la conception des programmes les concernant. Les différences observées selon le genre au niveau des connaissances des jeunes sur les MST/sida et les condoms seraient une conséquence des restrictions qui pèsent sur les filles dans le domaine de la sexualité. Ce qui confirme lhypothèse développée dans ce sens par Rivers et ses collègues.23 En effet, nos données ont révélé quune proportion importante des jeunes connaissent les MST dans les milieux étudiés. Cependant, en milieu Bamiléké, où les restrictions sur la sexualité des filles sont très fortes, le pourcentage de filles connaissant ces maladies est significativement inférieur à celui de garçons. Cest aussi dans ce milieu que le pourcentage de filles connaissant que le sida est une MST et celui de filles connaissant quil se transmet par voie sexuelle sont significativement inférieurs à ceux observés chez les garçons. Des différences importantes ont été aussi observées selon le genre au niveau de la connaissance des condoms, mais cette fois-ci dans les deux milieux étudiés. La relation entre lidéologie de la « féminité » et le niveau faible des connaissances des filles résulte, selon Rivers et ses collègues24, du fait quelle saccompagne de leur faible éducation sexuelle dans le cadre familial. Celles-ci tirent pour cela une bonne partie de leurs informations sur la sexualité et les MST/sida des collègues et amis dont certaines sont souvent erronées. Le fait quen milieu Bamiléké le pourcentage de jeunes filles qui accepteraient dutiliser les condoms est significativement inférieur à celui observé chez les garçons en témoigne aussi. Le fait que dans le même milieu le pourcentage de jeunes condamnant lutilisation des condoms est plus élevé chez les filles que chez les garçons en témoigne encore plus, leurs justifications de ces attitudes étant notamment généralement fondées sur des fausses rumeurs. Ces résultats montrent une fois de plus lintérêt de mettre en place des programmes dinformation et déducation des jeunes et leurs parents sur les stéréotypes et les idéaux de genre et sexualité. Ils montrent aussi quil est important de viser aussi à travers ces programmes lamélioration des rapports de communication entre parents et enfants dans le domaine de la sexualité et la disparition des connaissances erronées que les filles particulièrement ont sur les MST/sida et les condoms. Le fait que les pourcentages de jeunes Bëti ayant déjà eu les rapports sexuels, de ceux ayant eu leurs premiers rapports sexuels avant 16 ans, de ceux ayant été « infidèles » à leurs partenaires réguliers au cours des 12 derniers mois précédant lenquête et de ceux ayant eu les rapports sexuels occasionnels au cours de cette période sont plus élevés que ceux obtenus chez les Bamiléké, confortent lidée selon laquelle les murs sexuelles sont permissives dans le premier milieu et rigides dans le second. Il existerait donc une association entre culture et comportements sexuels des jeunes au Cameroun comme Rwenge25 lavait aussi montré dans la région anglophone de ce pays. La forte valorisation de lacte sexuel « naturel » ou « complet » par les jeunes Bêti signifie que leurs connaissances des MST/sida se traduisent moins en comportements que chez les Bamiléké. Si lon en croit notamment Yana26 , il serait fort probable que la forte cohésion familiale observée dans ce dernier milieu y soit associée à une forte prise de conscience par les jeunes des conséquences néfastes du sida sur leur famille. Ces résultats montrent lintérêt de continuer à sensibiliser les jeunes Bëti sur cette maladie. Etant donné quils vivent dans un milieu où les murs sexuelles sont permissives, on y insisterait, davantage dans les messages de sensibilisation, sur lutilisation des condoms que sur la fidélité et labstinence sexuelle. Doù la pertinence des études psychosociales sur les facteurs de la non utilisation des condoms par les jeunes dans ce milieu. Les différences selon le genre observées au niveau des comportements sexuels sont une autre expression de lidéologie de la féminité et celle de la masculinité. Les jeunes garçons sengagent plus intensément dans lactivité sexuelle que les filles parce quils sont encouragés par la famille et les collègues. Ces idéologies saccompagnent dune faible utilisation des condoms chez les filles, à qui en fait on inculque pendant lenfance lidée selon laquelle une femme doit être passive dans cette activité. Ce qui montre une fois de plus quil est important de changer dans les milieux étudiés les idéaux de genre et sexualité via les programmes dinformation et déducation des individus. Les analyses multivariées effectuées mettent en évidence dautres facteurs des comportements sexuels des jeunes, à savoir les caractéristiques de leurs partenaires, qui jouent notamment un rôle important dans leur engagement dans lactivité sexuelle « à risque ». Les jeunes ayant des partenaires plus âgés, des partenaires exerçant une activité économique et de niveau élevé dinstruction se sont avérés plus enclins à l « infidélité » que les autres. Le fait que ces jeunes ont régulièrement des rapports sexuels avec ce type de partenaires, non par amour, mais pour des raisons « économiques », explique pourquoi ils ont aussi des rapports sexuels avec dautres partenaires, quils recrutent généralement dans le groupe des jeunes. Le fait que les différences observées selon le genre au niveau du risque dutiliser les condoms ont disparu lorsque lâge du partenaire a été contrôlé signifie que les filles utilisent moins les condoms que les garçons parce quelles ont pour la plupart les rapports sexuels avec des personnes plus âgées. Il est rare que la jeune fille exige les condoms dans ce cadre, même si elle est suffisamment consciente des risques quelle coure, non seulement parce que ces relations sont contraintes financièrement, mais parce quaussi un écart important dâge entre partenaires saccompagne dun rapport inégalitaire des forces. Ces résultats témoignent, non seulement de la nécessité daméliorer les conditions de vie des familles dans les milieux étudiés, mais aussi de prendre des mesures pour protéger les jeunes, car les relations quils entretiennent avec des personnes âgées sont aussi contraintes physiquement. Ces résultats témoignent aussi de lintérêt de sensibiliser les jeunes sur leffet positif dun écart important dâges entre partenaires sur leur exposition au risque des MST/sida et sur lexpansion de ces maladies dans la population générale. Références
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